mardi 25 mars 2008

Ecrits et chuchotements 5


Quoi de plus féminin et contemporain que l’œuvre de Louise Bourgeois. L’artiste franco-américaine règle ses comptes avec la virilité de son père, la sexualité masculine et… féminine ! L’exposition qui se tient actuellement à Beaubourg est comme son œuvre assez polymorphe mais oh ! joie regroupée dans un ensemble assez intime, selon un parcours chronologique facile. Foin des grandes rétrospectives, des kilomètres de vitrines et des dizaines de salles où l’on termine la langue pendante. Cette présentation fait plutôt penser à celle du pavillon américain à la biennale de Venise il y a quelques années. Evocation de sa personnalité et de son parcours intellectuel et artistique un peu touche à tout. On n'en voit pas tout de suite le fil conducteur. Ce qui frappe le plus sont les premières recherches des années 40/50 quand elle pensait à la France, « exilée » à New York, les totems et personnages de bois, de métal et autres pièces empilées qui évoquent la solitude au milieu de la foule. On sourit et rit beaucoup aussi des formes de marbre, de tissu qui représentent des sexes de toutes sortes dans des positions, des dimensions, des expressions incongrues. Cela remet beaucoup de choses à leur place et ridiculise un peu la place qu’on voudrait donner au sexe… cela a l’air si ridicule, mou et vain…Plus loin, les tapisseries, les poupées, les araignées, les installations d’intérieurs tout cela est si féminin, plonge dans le passé d’un gynécée de souvenirs. Mais, surtout, il y a dans la galerie d’arts graphiques du musée d’art moderne une petite exposition de dessins, gravures et petites sculptures intitulée : « Tendres compulsions ». Louise Bourgeois nous montre ce qu’il y a de plus précieux et de plus touchant peut être… ses dernières œuvres . « 10 AM is when you come » est une suite de 40 peintures qui représentent ses mains à l’encre rouge. Ses mains et ses bras plutôt, joints à ceux de son assistant, qui se touchent, se caressent, s’éloignent, s’unissent, se parlent. Les mains portent des alliances très présentes. Le rouge est le rouge du sang, de la vie, de la création. C’est une œuvre forte et émouvante, car elle est un symbole du lien, de nos pulsions. Aussi parce que c’est l’équivalent des collages de Matisse, l’œuvre de la fin d’une vie où bouillonnement de la création est toujours présent. Son parcours est marqué par la curiosité, la rencontre et l’angoisse mémorielle! Louise Bourgeois est dans cette dimension comme une femme de l’antiquité grecque. Comme toutes les femmes elle tisse depuis sa naissance une tapisserie pour y fixer les hommes et les femmes de sa vie. Et quelquefois ils sont roses et s’emboîtent les uns dans les autres comme le petit Poucet et ses frères et sœurs, mais si on regarde de plus prés « Seven in bed »…on éclate de rire… courez à Beaubourg !

mardi 4 mars 2008

Ecrits et chuchotements 4

En ces temps d’insécurité culturelle nationale, il se dit que la Culture serait rattachée à la Recherche et confiée à Cavada. Il vaut mieux se réfugier dans les galeries et les musées. Daniel Templon exposait les dernières toiles de Garouste, dans la suite des illustrations de Don Quichotte pour Diane de Selliers. Ce sont des fables, des allégories, des apologues. Garouste est un génial coloriste, le Poussin du XXe siècle, « de plus en plus fou » comme dit le peintre Hamid Fakhoury. Le fils naturel du Greco. Mon préféré est « Le Compas et l’entonnoir », double autoportrait d’un homme bicéphale et multichère qui tient un entonnoir et un compas, sur fonds violet. Un grand triptyque vert, orange et noir, sa femme et lui, qu’on peut retourner comme des cartes est d’une gaieté inouïe, c’est ce qu’on aimerait regarder tous les matins pour se lever de bonne humeur. Il est de plus en plus obsédé par lui, ses visions, ses tourments, ses fantômes, l’ambiguïté sexuelle, nous montres son trou de balle et ses génitoires avec une impudeur sympathique et drôle. Rien de surréaliste comme on dit certains critiques un peu courts, ou d’expressionniste. Les métamorphoses d’Ovide. On en sort joyeux et ragaillardi.
Au Louvre, Gabriel de Saint-Aubin enchante les dix-huitièmistes. Je suis amoureux de ses catalogues et livres illustrés de dessins des tableaux vendus ou des monuments décrits. Témoignages historiques irremplaçables comme les vues des salons de peinture. C’est mieux que les « Salons » de Diderot, prétentieux et autoritaire. Des scènes de vie quotidienne aussi comme trois femmes à l’entrée du jardin des Tuileries assises et conversant plus vrai que bien des tableaux, parce que c’est la vie.

Et à Versailles, l’appartement de Mesdames au rez-de-chaussée, dans les ténèbres, présente avec des éclairages artificiels et un remarquable accrochage les portraits de Roslin, le plus français des Suédois du XVIIIe siècle. Rien de commun entre la morgue du duc de Praslin, la suffisance du financier De Flandres, l’ambition de l’abbé Terray. Roslin a saisi le vide des petits maîtres, la bêtise ou la peur des princes, la distance des grands. La jeune baronne de Neubourg a 16 ans, encore une enfant malgré sa toilette de bal masqué. Elle ne sait pas encore avec qui, ni comment on danse ni qu’elle va devenir « la fleur des pois » ; elle est déjà perdue, on le lit dans son regard. Le baron de Neubourg trentenaire désabusé, ayant connu tous les plaisirs n’est rattaché à la vie que par les conventions, un Louis XV au petit pied…. Que de contrastes dans cette société qui défile devant nous : la baronne d’Holbach, l ‘épouse du philosophe et bel esprit des salons parisiens, douce, intelligente, fine et réservée, le bon ton… Et pourtant le baron était le grand ami de Diderot qui n’aimait pas Roslin et dénigrait le « bon brodeur » ! Pauvre Diderot, Mme d’Epinay avait raison de ne pas l’aimer. Il n’a pas compris l’image de vieilles filles que Roslin a donné à Mesdames, filles du Roi, et qui est la donnée principale de leur condition avant d’être princesses ! Colin Bailey, le conservateur de la Frick Collection de New York, nous fait remarquer l’influence de Pompeo Battoni. Il n’a pas acheté la comtesse d’Egmont-Pinatelli , fille du maréchal de Richelieu, car ce tableau manque d‘esprit. Et Mr. Bailey en a beaucoup. Il y aussi des portraits d’artistes et d’écrivains : Collin de Vermont dont la main et le gilet sont remarquables de vérité et de sensualité, Marmontel qui a justement la pose de Diderot par Fragonard. Piron, le médiocre écrivaillon a l’air bonasse, son chien-chien sur les genoux. On a du mal à reconnaître l’auteur de l’Ode à Priape, ce qui lui valut de ne pas être ratifié par le Roi lors de son élection à l’Académie française. Il écrivit ainsi son épitaphe :

« Ci-gît Piron
Qui ne fut rien,
Pas même académicien » !