mardi 27 mai 2008

Le manteau de Proust

Groucho Marx racontait que rentrant dans un café, il demande quelque chose de chaud et on lui apporte un … manteau ! Cette citation pleine d’à propos pourrait servir d’exergue au récit de Lorenza Foschini, journaliste et écrivain italienne, un des « stars » de la Rai, « Le manteau de Proust ». Ce n’est en fait pas un récit, ni un essai, c’est une enquête policière et historique qui commence comme l’homme qui a vu l’homme qui a vu l’homme qui a vu le manteau…. Une fouille archéologique littéraire sur Proust et Jacques Guérin, sur la religiosité des souvenirs du grand écrivain, objets de culte. Les lunettes de Zola ne peuvent être mises sur le même plan que le manteau de Proust. Zola peut être un romancier de génie et un héros politique, il ne peut être un sujet de fétichisme.
Proust a raté sa vie sexuelle, amoureuse, familiale, amicale. Il s’est racheté par son œuvre inégalable et son auto psychanalyse est devenue objet de religion. Jacques Guérin, le grand parfumeur, qui a constitué une de plus belles collections de livres et de manuscrits du XXe siècle, a recherché passionnément les écrits et souvenirs de Proust comme ses meubles et objets personnels. Il a même retrouvé de façon très fortuite – c’est le sujet du livre - le manteau , la pelisse qui ne le quittait jamais hiver comme été et qu’il étendait sur son lit la nuit. Lorenza Foschini est allée la voir au Musée Carnavalet où il n’est pas exposé en raison de sa fragilité et a décide de se lancer dans cette enquête.
Au delà du culte, de la sentimentalité, ce manteau n’est qu’un symbole mais ô combien important, un témoignage archéologique malgré sa laideur ou sa médiocrité même, pour nous ressusciter un personnage, des moeurs, une société.
Lorenza Foschini devant le manteau de Proust est comme devant son cadavre, observe le même respect. C’est la réussite de ce petit livre qui nous mène au delà des chose cachées et retrouvées. Il nous fait entrer dans les méandres des rapports familiaux compliqués de Proust avec sa mère, son frère et son affreuse belle sœur qui a brûlé la plus grande partie de sa correspondance et déchiré les dédicaces pour ne pas salir le nom si connu des docteurs Proust ! C’est un plaidoyer contre la famille, contre les femmes de la famille surtout. L’auteur revendique la liberté mentale dans la famille et ce livre peut être aussi lu comme une revendication de liberté aujourd’hui. Une autre particularité de ce livre est d'être simultanément publié en italien et en français par la maison Portaparole créée par une amoureuse de la littérature française dans sa collection Proustiana, Emilia Aru, jeune éditrice romaine. Elle avait organisé avec Lorenza Foschini une causerie à l’hôtel de Galliffet, le centre culturel italien à Paris, avec Daria Galateria, professeur de littérature française à la Sapienza, le biographe Claude Arnaud, et Jean-Marc Leri, directeur du Musée Carnavalet. Ce fut un exercice d’érudition léger, brillant, rempli d’humour et d’intelligence, ,de vraie conversation qui remplit d’aise la foule venue les entendre. Cette société italienne cultivée a beaucoup à nous apporter aujourd’hui par sa maîtrise du verbe et du savoir. La conclusion était donnée dans la salle par cette comparaison entre l’Italie, pays des objets perdus et la France , pays des objets trouvés…

Lorenza Foschini, "Le manteau de Proust", Portaparole.
Il faut rendre hommage à la remarquable traduction de Benoît Puttemans.

samedi 17 mai 2008

Cannes au XVIIe siècle

En cette première soirée du festival de Cannes, au bout de la jetée du Carlton, la vue sur la rade, les yachts et les îles fait penser à une autre agitation de bateaux plus guerrière, il y a près de 400 ans en ces mêmes eaux…
La guerre de 30 ans entre la France et l’Espagne faisait rage. Si nous étions souvent les meilleurs sur terre, la suprématie maritime des Espagnols se manifesta avec une grande vigueur en 1635 quand ils s’emparèrent des Iles de Lérins, ce qui compromettait grandement la sécurité de la Provence et mit fort en colère le cardinal de Richelieu, premier ministre. Cette conquête, mineure en soi, les deux îles de Sainte Marguerite et Saint Honora font à peine quelques hectares, donnait en fait à la flotte combinée des Espagnols et des Génois une escale toute trouvée sur les côtes provençales, entre Barcelone et
Gènes, pour une tête de pont d’une descente en Provence, pour faire « aiguade », c’est à dire le ravitaillement en eau de vaisseaux et des galères, et un abri sur pour les bateaux espions, les porteurs de courriers et de dépêches, et autres brigantins et felouques de Sa majesté Très Catholique.
Mais voilà, la France n’ayant pas ou prou de marine, elle était incapable de reprendre ces îlots à trois encablures de la terre ! Ils ne dépendait pas de Cannes comme aujourd’hui mais c’est Cannes qui dépendait de l’abbé de Lérins, seigneur de Cannes, et de tous les villages environnants, et dont le château domine encore la vieille ville où les festivaliers n’ont pas le temps de s’aventurer, ce qu’on appelle aujourd’hui le Suquet. Lérins a été fondé au début du 5ième siècle par Saint Honorat qui établit là la première communauté chrétienne du monde occidental.
L’abbaye a été pendant plusieurs siècles « l'université », le centre de formation des papes, des saints et des missionnaires de l’Eglise. Les restes de l’abbaye fortifiée par les Bénédictins au Moyen âge ont résisté aux assauts et conquêtes des Sarrasins, Barbaresques et autres Espagnols. C’est un des plus beaux édifices de Provence et un témoignage historique et spirituel de première importance. Les Cisterciens le conservent aujourd’hui dans un paysage inchangé depuis des millénaires, une espèce de petit Mont Athos français… Richelieu donc, furieux, ordonna au maréchal de Vitry, gouverneur de Provence de fortifier la côte provençale et de préparer la reconquête. Il fit assembler les Etats de Provence à Fréjus en février 1636 « Il y représentèrent, dit un chroniqueur du temps, avec tant de succès la honte et le préjudice qu’il y aurait de souffrir plus longtemps les Espagnols si proches d’eux, que les députés accordèrent librement au Roi une somme de douze cents mille livres pour subvenir aux frais de cet armement » d’une armée navale sous les ordres du comte d’Harcourt, du corps de Galères, dont le général était le neveu du cardinal, Pontcourlay, et une armée confiée à Mgr de Sourdis archevêque de Bordeaux.
Le ban et l’arrière ban de la noblesse Provençale vint à Cannes apporter son concours. Tout ce bel état major était dans l’inaction à Cannes pendant l’hiver 1636-37 à cause des querelles personnelles des quatre commandants. Le maréchal de Vitry alla même jusqu’à casser sa canne sur la tête de Mgr de Sourdis… qui irritait tout le monde. Les Espagnols eurent le temps de fortifier les îles et d’amener des troupes. Il fallut attendre le printemps 1637 et la peur de Richelieu qui avait ordonné de recouvrer les îles « à quelque prix que ce fut » pour que le comte d’Harcourt dirige une attaque victorieuse. Richelieu jura qu’on ne l’y prendrait plus et décida de construire une flotte enfin digne de la France. On peut dire que le véritable début de la marine française s’est joué devant Cannes.

samedi 3 mai 2008

Ecrits et chuchotements 6

Les hommes célèbres, dans tous les temps, sont nombreux chez qui la gloire ou la vertu ne furent qu’un hasard. La chance et l’ambition ont entraîné leur courage et ils se sont ainsi élevés au-dessus d’eux-mêmes par quelques actions éclatantes. Mais le reste de leur vie n’est qu’une lacune immense et stérile qui n’a pas produit grand chose… A qui pense-t-on ? Sarkozy ? Berlusconi ? Bush ? Poutine ? Mais cet auteur du XVIIIe siècle qui nous livre un art consommé du panégyrique ne les connaissait pas. Il poursuit : « On est embarrassé d’expliquer et de concilier dans le même homme, ce mélange de force et de faiblesse, de lumières et de ténèbres, ces contradictions choquantes dans le caractère, ces inconséquences dans la conduite, ces heureux élans vers la grandeur, et ces chutes honteuses dans la bassesse. Point d’unité dans leurs principes, de régularité dans leur marche. Ainsi, qui sait voir et juger, ne trouve souvent que des âmes communes, des caractères médiocres cachés sous l’éclat imposant d’une qualité brillante, qui, secondée par d’heureuses circonstances, s’est montrée quelquefois avec avantage et a jeté quelques éclairs passagers ». Pourtant, là nous le reconnaissons bien, c’est.. voyons… nous le connaissons tous ! Bien loin de lui comme sont rares les « âmes fortes et vigoureuses, qui n’empruntent leur mérite ni des passions, ni des événements et ne se démentent jamais ; qui se déterminent par leur raison, agissent par volonté, remplissent leurs devoirs par le seul amour de l’ordre, aiment le bien, parce qu’il est le bien ; et dont toute la vie, retraçant la sublime uniformité des lois de la nature, semble se développer d’après le germe où il était renfermé, et qui ne change en croissant ni de nature, ni d’espèce.
Ces hommes sont les vrais sages ». Notre XXIème siècle manque de sages comme le héros célébré par M. Le Tourneur dont l’
Eloge remporta le prix de l’académie de Marseille le 25 août 1778 : le maréchal du Muy, premier et éphémère ministre de la guerre de Louis XVI. Mentor du Dauphin son père, homme religieux et fidèle il se fit enterrer auprés de son maître dans la cathédrale de Sens où est toujours sa dépouille sur laquelle est gravée « Ce n’est qu’ici que finira ma douleur ». Nicolas-Victor de Félix, comte du Muy (1711-1775), était le fils de la sous gouvernante de Louis XV placée là par le cardinal de Fleury, son précepteur, pour mieux surveiller l’éducation du Roi.
Cette famille fit une réussite formidable à la cour et c’est tout naturellement qu’il fut élevé avec le dauphin dont il fut le menin, mais surtout le confident, et chose rare à la cour, l’ami. On trouva dans les papiers du dauphin après sa mort cette prière : « Exaucez ma prière en prenant sous votre protection votre fidèle serviteur du Muy, éloignez de lui le fer et le feu, les maladies et les atteintes mortelles de la contagion. Soutenez les dans ses travaux, afin qu’il continue à me donner, comme il l’a toujours fait, des conseils pleins de piété, et qu’il m’aide à défendre la Religion et la justice ». Il avait refusé le ministère de la guerre à Louis XV en lui écrivant « Je n’ai jamais vécu dans la société de V.M par conséquent je n’ai jamais été dans le cas de me plier à biens des choses d’usage pour ceux qui y vivent ; à mon âge on ne change point sa manière, et mon caractère inflexible changerait bientôt ce cri public, dont V.M. a la bonté de s’apercevoir, en blâme ou en haine ; on me ferait perdre les bontés de V.M. j’en serais inconsolable. Je la prie donc de vouloir bien jeter les yeux sur un sujet plus capable ». C’est ce que certains hommes politiques « d’ouverture » devraient méditer avant de rallier un autre camp, mais nous manquons aussi de caractères inflexibles…