lundi 20 octobre 2008

Quatrième centenaire de Québec

Qui pouvait mieux que Raymonde Litalien, ancienne archiviste de l’ambassade du Canada à Paris et auteur de nombreux ouvrages sur la naissance et la cartographie de l’Amérique française, nous retracer l’histoire de Québec capitale de ce qu’elle appelle « l’Empire français » de 1608 à 1760 ? En effet, c’est un rêve très tentant d’imaginer ce que serait devenue l’Amérique « française » victorieuse ! Elle encerclait les colonies anglaises et réussissait ce que les autres puissance coloniales répugnaient à faire, une vie plus ou moins pacifique, d’alliance, de compréhension et de partages avec les Indiens. Car c’est ce qui caractérise la colonisation française, l’assimilation des autochtones. Ce qui m’avait frappé lors de la très belle exposition de l’histoire du livre et de l’édition au Québec, à la bibliothèque nationale de Montréal, est que le premier livre imprimé dans la colonie est une bible, entendu, mais dans une langue indienne. C’est un beau symbole de l’histoire de cette nation placée sous le double signe de la religion et de la cohabitation avec les indigènes. Cohabitation obligatoire à cause du commerce des peaux et fourrures avec les Amérindiens. Raymonde Litalien nous raconte très bien cela dans ce petit guide, avec de nombreux documents et cartes. La géographie tient une grande place qui s’explique par la surprise qu’ont eu les colons de cet hiver auquel ils ne s’attendaient pas et auquel il fallut vite s’habituer en transformant parfois radicalement leurs façons de vivre. Et le long du Saint Laurent, voie royale d’entrée dans la belle province, le territoire fut partagé et cultivé par les colons de part et d’autre du fleuve dans un système seigneurial adapté au nouveau monde qui est à l’origine des paysages d’aujourd’hui. L’agriculture a été avec la pèche et le négoce des fourrures à l’origine de la richesse du pays. La ville de Québec est décrite dans ce cadre géographique qui explique sa fondation, puis dans son administration civile et militaire de capitale de la colonie et de toute la Nouvelle France jusqu’à la Louisiane et enfin dans sa vie quotidienne. Un peu plus de rigueur aurait sans doute permis un autre découpage de présentation de la société, une meilleure explication su système seigneurial et de la transposition de la société française des Trois Ordres en Nouvelle France et plus de précision sur la société de Québec, la capitale, différente de Montréal, ville plus activé économiquement. Une analyse des élites sociales de la colonie aurait été d’autant plus nécessaire qu’elles ont disparu après le traité de Paris de 1763. C’est de cette société sans classes qu’est sortie après la Révolution tranquille l’énergie et l’inventivité du nouveau Québec. Enfin on peut regretter que la transcription de la commission de Gouverneur général du marquis de Beauharnais ne donne pas son véritable nom de Beauharnais même s’il est écrit Beauharnois dans le document original. A ces détails près, ce voyage dans le temps et l’espace est une excellente introduction à la « civilisation québécoise » et nous ne saurions que trop engager le voyageur à se rendre à Québec, une des capitales de la francophonie, avec ce petit livre en mains.

Raymonde Litalien, Québec, capitale de la Nouvelle-France, 1608-1760, Guide Belles lettres des civilisations, Les belles lettres, 2008, 17€

dimanche 12 octobre 2008

Quelques clefs pour l'Argentine

La faillite de l’Argentine paraît mystérieuse à tous les touristes et voyageurs qui se rendent dans ce beau et grand pays. L’histoire nous donne quelques clefs pour comprendre ce qui se passe aujourd’hui, sans doute mieux que la psychanalyse ici si répandue. L’Argentine n’est pas une colonie espagnole comme les autres. Son histoire n’est en rien comparable à celle du Pérou ou du Mexique, mais bien plutôt à celle des Etats-Unis. Terre sauvage et oubliée, car ne possédant pas de mines ou de plantations de canne à sucre ou de café, et donc inintéressante, ce bout du monde austral ne connut pendant longtemps que les voleurs de chevaux et de vaches du sud du Brésil qui sont à l’origine des « gauchos ». Des Portugais, Hollandais, Français, Espagnols croisaient à l’embouchure de ce qu’on crut bien être un passage maritime vers la Chine. El rio de la Plata… Au XVIIIe siècle, la cour d’Espagne décida de changer la route de l’argent (La plata) et de la faire descendre le long des rivières et embarquer depuis Buenos Aires qui remplaça peu à peu Cartagena de Las Indias. Dans un second temps, à la fin du siècle, la vice royauté fut transportée de Santiago à Buenos Aire , capitale de ce nouveau territoire de l’argent… l’Argentine ! On lui adjoignit les provinces du nord-ouest autour de Cordoba qui, elles, étaient d’antiques colonisations hispaniques. Cela a engendré l’inimitié héréditaire des Chiliens dépossédés et un air de mépris des familles de Cordoba envers ces nouveaux riches de Buenos Aires. La révolution et la création de la république argentine en 1810 suivit donc celle des Etats Unis. Son développement au XIXe siècle fut assez identique : guerre à outrance contre les Indiens pour conquérir le sud et la Patagonie jusqu’à la cordillère des Andes et la terre de Feu, fédération d’états, arrivée de millions de colons étrangers, espagnols, italiens, surtout, anglais, français – basques principalement – allemands et suisses. L’invention de la réfrigération permit le transport de la viande et assura au pays une immense richesse dès la fin du XIXe siècle. Mais des guerres, des conflits internes, des révolutions ont ensanglanté et déchiré inutilement le pays qui, des plus riches de la planète est devenu membre du tiers monde. Je pense que le péronisme, mélange de social, de populisme, de nationalisme, avec son action syndicale et réactionnaire à la fois, a tué l’économie, l’énergie du pays et mis en place une structure politique qui encourage les médiocres, les arrivistes et la corruption généralisée. Archibaldo Lanus, ancien ambassadeur d’Argentine à Paris, n’est pas de cet avis, il prépare un ouvrage sur ce qu’il appelle la fracture argentine. Son pays, selon lui, a cru et croit toujours à son destin d’être les Etats-Unis du sud de l’Amérique. Mais la fracture est politique, il a fallu 50 ans pour adopter enfin une constitution, de nombreuses guerres civiles et des luttes sans merci entre partisans de la constitution unitaire et fédéraux, gens des villes et gens des campagnes. Ce qui a déstabilisé tous les gouvernements successifs et entraîné une méfiance envers tout ce qui est public, l’administration et la classe politique. C’est la mentalité de la rue aujourd’hui, à quoi bon ? Pourquoi faire ? Tous des pourris… qui sont pourtant toujours réélus ! L’amour de la nation, du drapeau est pourtant très fort. Et le sens d’un destin particulier aussi. C’est ce en quoi les Argentins rejoignent les Français.

mardi 7 octobre 2008

Les Cent Jours du Roi

La mode aujourd’hui est de réécrire l’histoire sans être historien. Depuis longtemps déjà les conservateurs de musée, dans les catalogues d’exposition par exemple, nous déroulent de grandes théories historiques pour expliquer le sens de telle œuvre ou renomment des tableaux car cela sonne mieux. Peut être pour nous faire sentir le poids de leur science. Cela tombe souvent à côté. Des hommes politiques tricotent des livres d’histoire, généralement des biographies, que l’apprenti psychanalyste n’aura pas de mal à décrypter. Cela ne veut pas dire que la psychanalyse ne fait pas aussi son miel avec les historiens… Mais quand on parle des Cent Jours, période cruciale de la constitution de la France contemporaine, il vaut mieux laisser la parole aux connaisseurs.
Emmanuel de Waresquiel est de ceux-là. Brillant historien de la Restauration, sa biographie lumineuse de Talleyrand le conduisait directement à « revisiter » les Cent Jours sans dresser une apologie commune de Napoléon, ou la énième critique de la Restauration, mais à lui redonner tout son sens : c’est un épisode de l’histoire dont on se serait bien passé, qui nous a coûté très cher politiquement, économiquement, affectivement. Quel orgueil, quelle vanité pour revenir rétablir sur un trône qu’on déclare légitime et qui a dix ans d’existence face aux 83 rois qui ont fait la France ! Pire, c’est une faute politique, d’intuition, de goût. Napoléon savait pertinemment que cette aventure serait éphémère… que signifie éphémère… ce qui disparaît…Mais la gloire de Napoléon n’a pas disparu, au contraire… c’est justement ce mystère que Waresquiel nous fait revivre devant nous comme un scénario de film à l’étonnante mise en scène. Avec des héros, des rebondissements, des traîtres, des combats, tout concourt au succès du film, les plans, les décors, les dialogues, les intrigues, les mystères et les passions. Hélas, car ce sont les passions françaises qui dominent cet épisode historique du XIXe siècle. Il était une fois un tyran qui tombe pour le plus grand bonheur de son peuple, certes qu’il avait libéré de beaucoup de choses mais dont le régime militaire ensanglantait le monde qui voulait se débarrasser de lui. On ne le pend pas, grave erreur, et on lui donne un mini trône sur une île. Mais Monsieur s’embête et s’entête. Le roi légitime qui a repris son trône redonne à son pays liberté, la démocratie et assure la réunion de l’ancien régime et de la Révolution. De cette fusion devait naître une nouvelle monarchie constitutionnelle. Mais bien sûr la paix et le commerce triomphent. On a licencié la Grande Armée et les vétérans grondent comme tous les vétérans. L’exilé insulaire pense qu’il doit conduire ce grondement, revenir avec ses oripeaux de drapeaux, canons et trompettes. Il veut se « refaire » comme un joueur qui a tout perdu et lance son dernier coup ! Projet insensé voué dès sa conception à l’échec quand on est l’ennemi public N° 1 de l’Europe. Résultat, Waterloo, une raclée anglaise de plus, des années d’occupation étrangère, des centaines de millions de francs d’indemnité et de coûts, des frontières réduites, la naissance du conflit franco-allemand. Mais surtout, en rouvrant la boite de Pandore il a rendu la Restauration et de la fusion des Français impossible. Les Cent Jours ont formé « la ligne de partage de deux France haineuses, l’« ancienne » et la « nouvelle »… depuis les Cent Jours… les opinions sont devenues des causes de division jusque dans l’intérieur des familles». Ce dernier épisode de la révolution française a tout gâté en redonnant vie aux deux camps ennemis qui n’ont pas cessé de s’affronter jusqu’à aujourd’hui : les blancs et les bleus, les calotins et les laïcs, les anciens et les modernes, les légitimistes et les libéraux, les pétainistes et les gaullistes, les Algérie françaises et les indépendantistes, dreyfusards et anti…. Il a exacerbé les passions françaises. Et Louis XVIII est un des vaincus de l’histoire malgré son intelligence et ses faiblesses. Waresquiel nous en donne un portrait saisissant, le meilleur depuis la biographie de Philip Mansel. Son livre aurait dû s’appeler : « les Cent Jours du Roi ».

Emmanuel de Waresquiel, Cent Jours, la tentation de l'impossible, mars-juillet 1815. Fayard, septembre 2008. 687 pages. 28€.