samedi 30 mai 2009

CENT CINQUANTIEME ANNIVERSAIRE DE "MIREILLE"




Le cent cinquantième anniversaire de « Mireille » de Frédéric Mistral, chef d’oeuvre de la littérature provençale et poème d’amour éternel, donne lieu cette année à de nombreuses manifestations dans toute la Provence et à Sceaux, en juin. A Saint-Raphaël une passionnante exposition au Centre culturel montée par « La Rafelenco », met l’accent sur les liens entre Mistral et cette cité ainsi que sur l’opéra qu’en a tiré Charles Gounod, dans le sillage du succès de cette œuvre. « Mireio » est dédicacée en 1859 par Mistral à Lamartine avec cet envoi que je cite dans sa langue originale : « Te counsacre Mirèio, es moun cor e moun amo/Es la flour de mis an/Es un rasin de Crau qu’emé touto sa ramo/Te porge un païsan »… Je te consacre Mireille, c’est mon cœur et mon âme, c’est la fleur de mes années, c’est un raisin de Crau qu’avec toutes ses feuilles, t’apporte un paysan… Il me semble encore entendre le regretté Louis Malbos, conservateur du musée Granet, héritier de Joseph d’Arbaud nous lire ces lignes en nous enseignant Mistral, dans son bureau du Palais de Malte d’Aix qui avait alors fière allure….
Mireille selon une passionnante conférence de Pierre Fabre, ancien « capouliè » du Félibrige ,le mouvement de la renaissance provençale initié par Mistral, a connu tout de suite un immense succès en France et à l’étranger : 60 traductions aujourd’hui, c’est une œuvre étudiée dans les universités japonaises ou suédoises. Et c’est grâce à elle que Frédéric Mistral obtint le prix Nobel de littérature en 1904 ! Cette popularité jamais démentie est montrée dans l’exposition par des documents inédits retrouvés dans des collections publiques et particulières locales, dont celle de Pierre Fabre. La création de l’opéra, composé par Gounod, eut lieu au théâtre Lyrique de Paris le 19 mars 1864. Avec dans le rôle titre Mme Miolan-Carvalho, épouse du directeur de l’opéra qui avait créé le rôle de Marguerite de « Faust ». Tout ce beau monde se retrouva à partir de l’année suivante à Saint Raphaël. La station balnéaire venait d’être lancée par l’écrivain Alphonse Karr, directeur du Figaro, auteur des « Guêpes », personnalité parisienne, rival de Victor Hugo, son gendre Léon Bouyer, photographe et jardinier, l’homme d’affaires Félix Martin et un jeune ingénieur lyonnais qui venait de construire les chemins de fer d’Anatolie, Pierre Aublé, qui sera l’architecte de la ville nouvelle. Rivale de Cannes, Saint-Raphaël devient un lieu de villégiature prisée par l’empereur Pedro II du Brésil, les princes russes, et beaucoup d‘artistes comme les Carvalho chez qui Gounod séjourna ainsi qu’à l’Oustalet du capelan, chez la vicomtesse de Savigny, égérie d’Alphonse Karr. En 1865, il est à l’hôtel du Nord avec le poète Jules Barbier, son librettiste,pour composer« Roméo et Juliette ». Les Carvalho possédaient une villa à Valescure, quartier mis à la mode par quelques Anglais autour d’un golf entouré de pins parasols. Dans le cadre de cette exposition était également présenté un film "Mireille et Vincent » de 1932 qui est un mélange de l’oeuvre en français et des grands airs de l’opéra. Ce film nous montre la Camargue et la Crau dans la splendeur du noir et blanc, qui rend la beauté des sites encore plus aride et brûlante. L’opéra de Gounod est actuellement représenté à l’opéra de Marseille et le sera en septembre au palais Garnier. La chanson de Magali déclamée au milieu du poème par une vieille femme dans le cercle des travailleuses du mas, est la plus belle déclaration d’amour de toute l’histoire de la littérature. J’aime la lire le soir à voix haute, dans cette langue provençale jubilatoire et sonore. Cette exposition de Saint–Raphaël a ce mérite de nous redonner le goût de « Mireille » que l’on peut toujours lire en dehors des mille éditions anciennes, illustrées ou contemporaines dans la version bilingue des Cahiers rouges de Grasset.

dimanche 17 mai 2009

WE NEED A ... CAMPION!




C‘est le film dont nous avons tous besoin en ce moment. Loin de la crise, d’Obama, des talibans, du conflit israélo-palestinien, de la grippe, des grippes ou de la « banane » du président, une petite merveille a surgi pour nous au festival de Cannes. Une étoile brillante au firmament de nos rêves et de notre imaginaire. Une histoire d’amour, anglaise en diable, un drame romantique, les amours et la mort du poète John Keats. « Bright Star » de Jane Campion, fera pleurer dans les chaumières. Certes, mais il nous donne deux heures de bonheur absolu grâce à un petit génie qui ne fréquente pas les réalisateurs et cinéastes français, celui du talent de la reconstitution historique. Je ne sais pourquoi ce génie si spécial adore l’Angleterre et le monde anglo-saxon. Le goût, l’amour et le respect de l’histoire ? Un peu des trois je pense, joints à la fierté d’un passé glorieux qu’on ne désire pas gommer comme en France en permanence. Je ne prendrai qu’un exemple, la cession de l’hôtel de la Marine, place de la Concorde, prestigieux palais qui l’abrite depuis plus de deux siècles est impensable à Londres. Si on avait eu besoin d’agrandissement, on aurait acheté les immeubles voisins ou construit une tour derrière, mais on aurait respecté et la propriété publique qui est la nôtre et les hommes qui l’ont hanté, ont construit l’histoire et donné un sens à ce lieu. De cela la France est incapable et encore moins sous la présidence actuelle. Et bien dans les films, c’est la même chose, on ne s’embarrasse pas des détails des reconstitutions, point de conseiller historique pour expliquer aux comédiens, pas seulement l’histoire, les faits, les dates et les caractères, mais le maintien, la démarche, le positionnement social, la lenteur de la vie du début du XIXe siècle, le temps… C’est tout ce que nous trouvons dans « Bright star ». Et surtout Jane Campion a trouvé un ton, le « ton » qui fait qu’on y croit, qu’on a remonté le temps…L’époque des phtisiques, des vraies jeunes filles, des amusements et jeux de société, des soirées familiales et musicales, de la découverte de l’amour qui se cherche, se vit, se réalise, s’amplifie et donne à un poète une muse, et à une jeune coquette une raison de vivre et de lire… C’est le temps qui passe et égrène les saisons dans des paysages, des intérieurs, une lumière qui sonnent si juste aussi . C’est d’une beauté issue des tableaux de Friedrich des paysages de Turner, des gravures en couleur de William Blake; comme historien, j’ai été subjugué par la beauté et la véracité de ce film. Abbie Cornish est une merveilleuse godiche préoccupée de rubans et de falbalas qui par jeu, puis par amour se métamorphose comme les papillons qu’elle élève. Ben Whishaw a cet aspect féminin, fragile et un peu ambigu des héros romantiques qui plaisaient tant aux femmes. Chopin ou Lucien de Rubempré. Jane Campion nous fait un très beau cadeau, un ton, une lumière, une histoire d’amour. Comme disaient ses fans en sortant du palais des Festivals : « We need a… Campion ! »

mardi 12 mai 2009

PARIS BERLIN




Pas facile d’être la petite fille d’un couple franco-allemand quand on est élevée à Berlin pendant la guerre. C’est l’histoire que nous conte Christiane Germain, ancienne galeriste parisienne, journaliste, auteur de livres sur l’art et l’histoire des femmes. Une de ces femmes du tout Paris culturel dont le charme, la conversation, le goût cachent une blessure secrète, un drame d’enfant. Comment, ce qui devrait être la richesse d’une vie, deux nationalités, deux langues, deux cultures complémentaires peut être gâché par la guerre, la haine franco-allemande. Avec beaucoup de tact Christiane Germain remplit la promesse faite à sa mère de raconter sa vie. Issue d’une des grandes familles de la haute société protestante parisienne, celle ci se bat pour devenir danseuse, acrobate, vedette de music hall … puis épouse un industriel allemand. La guerre éclate. Descriptions pour nous inhabituelles de la vie quotidienne berlinoise, la peur des nazis, l’enrôlement forcé du père, la famine, les séjours à la campagne, les bombardements, la peur du feu, les difficultés que les Français ont si bien connues… puis l’arrivée des Russes et cette scène la plus extraordinaire du livre, tragique et comique à la fois, comment sa mère fantasque, chic et parfumée sauve du viol et de la mort des centaines de réfugiées et leurs enfants. L’occupation russe et la survie quotidienne, la mort à tous les coins de rue… mais des rencontres extraordinaires, des hasards et des chances qui jointes au courage et à l’inconscience de sa mère les protège. La famille reconstituée vient vivre en France et doit affronter la mise à l’écart de la famille, la haine des autres, la bêtise administrative française. Puis se reconstitue avec amour . Et son père remonte une affaire de tissus dans le … Sentier . Où tout le monde fait confiance à l’Allemand honnête et travailleur. Christiane Germain vit ce Paris d’après guerre comme aussi le silence écrasant des Allemands, les questions sans réponse : ses parents savaient-ils ? leurs amis savaient-ils ? comment ? Pourquoi … ? Cela marqua toute une génération d’Allemands qui étouffa sa honte, sa responsabilité et la réalité historique. Blessure secrète, certes, mais aussi une famille extraordinaire, un couple amoureux, une mixité qui l’ont aidée à se tourner vers l’art et la littérature . Mais quelle est son Allemagne vue par des yeux d’enfants ? Des questions qui restent sans réponse, et un beau livre documentaire qui est le contraire de bien d’autres par sa légèreté et sa profondeur. Une vision de femme sensible et pudique.

Christiane Germain, Paris-Berlin, le Grand écart, Ramsay, 15 euros.

jeudi 7 mai 2009

Moscou, la crise et la culture


Semaine hivernale à Moscou. Ce froid retarde le printemps et les Moscovites en ont marre.. Mais ils s’amusent tout de même et sortent beaucoup. La crise est là bien sur, mais on en parle moins qu’à Paris ou plutôt différemment. Elle est surtout liée, pense-t-on, au prix du pétrole et donc pas de raison de s’affoler pour le moment. Les Russes ont un peu l’impression d’être en marge de l’économie mondiale. Et l’attitude des entrepreneurs est de chercher des solutions, pas de pleurer. Plus je vais à Moscou et plus Paris a l’air d’une ville de province. Il n’y a qu’à voir les robes du soir et les bijoux du grand couturier Valentin Ioudachkine. Ou rencontrer Samanta Ripa di Meana, qui circule entre ses galeries de Moscou, Shangaï et Bruxelles. On inaugure un nouveau pub anglais à côté du célèbre restaurant français Jean-Jacques, boulevard Nikitski, mais le côté froid, inconfortable et les écrans géants de télévision diffusant les matchs de football de la League ne peuvent concurrencer la bonne bouffe et l’ambiance de brasserie parisienne de Jean-Jacques, lieu incontournable des élites moscovites. Muriel Rousseau Ovtchinnikov qui l’a conçu avait envie d'un vrai bistro parisien à proximité de chez elle .Depuis il y en a quatre autres dans la ville. Muriel est une des Moscovites les plus branchées et incontournables de la capitale où elle a filé après sa sortie des Arts déco de Paris. Elle a créé une agence de création et de communication Lieu Commun qui invente des mots russes, des dessins, des décors, des évènements… tout ce qu’elle touche se transforme en or ! Pas seulement de l’or sonnant et trébuchant, de l’or de sentiments, de rencontres, de création. Elle a fêté ses 15 ans de Moscou avec une exposition « Art to B-to Be Art » au Musée des arts décoratifs montrant sa peinture, ses porcelaines, ses photos… elle met en relation toutes sortes de gens qui lui plaisent, premier impératif ! Le vendredi soir elle organise un atelier de nu féminin pour ses amis, ses clients, des créateurs, des oligarques. J’ai participé à une séance qui se passait dans un salon où elle exposait à côté de la Galerie Trétiakov moderne. On s’amuse beaucoup et cela donne une énergie de groupe formidable. Son mari Nikolaï Ovtchinnikov est un des grands artistes russes, peintre et créateur. J’adore de lui, un petit temple grec dont les colonnes sont des troncs de bouleau. Sa vision du monde est d’un angle inconnu des autres. C’est aussi un ancien hooligan des années 80 qui avait monté avec des copains un groupe de rock interdit dont les cassettes se vendaient sous le manteau. Ce groupe donnait cette semaine un concert au Manège Impérial, la grande salle d’exposition de Moscou, au pied du Kremlin, en même temps qu’une grande exposition internationale de photos, devant un groupe de fans quinquagénaires qui se remémoraient ces grands moments du rock russe… Au musée Pouchkine, une exposition de dessins romantiques allemands et des écoles du nord, et une autre consacrée au portrait de l’Homme aux yeux gris du Titien. La maison de Gogol vient d’être restaurée, mais c’est une catastrophe : une muséographie policée, plastifiée, lisse, destinée au grand public avec vidéos et enregistrements, à tué l’âme de la maison de ce grand écrivain. Même si on est ému de voir la chambre où il mourut, son masque mortuaire, des dessins de sa maison de Poltava en Ukraine. Il y a une polémique avec les Ukrainiens pour savoir si Gogol est russe ou ukrainien et à l’occasion de la sortie d’un film tiré de son Tarass Boulba un peu modifié et très anti polonais entre les ultra nationalistes et les autres… tout le monde en parle….Le nouvel ambassadeur de France, M. de Gliniasty ne comprend pas cet acharnement de certains médias contre la Russie, Poutine, la mafia… C'est extrêmement réducteur. La culture, les sentiments, la musique, la joie de vivre sont si présents ici. Et une ville comme Moscou qui a une maison du miel où on peut déguster des dizaines de miels de toutes les parties de l’Empire, de la Toundra, des Terres noires, de la Volga, des monts Altaï… ne peut pas être une mauvaise ville.