lundi 23 novembre 2009

Loin du conformisme mou et du consensuel, la revue Conférence...





Les revues hebdomadaires généralistes françaises sont soumises au diktat de la médiocratie de la presse : toute l’année ronde nous avons droit à la vie sexuelle des Français, au classement des hôpitaux, aux écoles de nos enfants, au salaire des fonctionnaires, etc…à droite comme à gauche. Les revues littéraires, artistiques ou plus généralement culturelles sont également souvent bien monotones. On découvre vite, passé l’intérêt de la première rencontre, la découverte des auteurs et des textes, l’enthousiasme envers la qualité des photos ou des illustrations, la trame, comme au théâtre lorsque l’œil glisse dans la coulisse. Le choix des sujets est issu du consensus, du conformisme, du marketing. On se fiche de l’opinion de Bernard-Henri Lévy sur la guerre d’Irak, ou la critique de tel auteur bien pensant contre le pape, la guerre en Tchétchénie… un peu d’imagination, de goût, de distance et de perspective que diantre ! De liberté ! Foin des copinages et renvois d’ascenseurs, des nominés et des primés. Saveur, intelligence, non-conformisme sont des mots qui trouvent une résonance dans la revue Conférence, qui a pour exergue une phrase de Montaigne : « Le plus fructueux et naturel exercice de notre esprit, c’est à mon gré la conférence… La cause de la vérité devrait être la cause commune… ». Cela donne de l’appétit. La revue a un format de livre, petit in octavo, un peu carré, imprimé sur papier bible chez Darrentière à Dijon avec une mise en page aérée, une typographie soignée, vrai travail d’impression qui déjà nous met en contact avec un bel objet. A l’intérieur alternent poésie, littérature, philosophie, des textes d’écrivains vivants ou morts, oubliés ou fameux. Des photographies, des gravures, des reproductions de peintures encadrent les haïkus, les essais et documents, les auteurs étrangers. Le dernier numéro de Conférence s’ouvre sur trois lettres de Pascal Riou qui fustige l’illusion contemporaine :
« Soyons donc hédonistes, efficaces ; assumons, quoi !
Donc la mort sans rituel, l’homme
sans destin, la vie sans provenance
(traçabilité des poules/anonymat des pères)
ma main mise sur tout : le sperme, l’ovocyte,
l’organe du mourant, l’enfant juste conçu… »
Ouf ! cela décoiffe, on n'avait plus l’habitude d’écrits qui réclament la tendresse, l’amour et la fraîcheur. Des récits de voyages, des passages de journaux nous emmènent loin, et tout près. Christophe Carraud qui dirige cette revue est un des auteurs majeurs avec feu Maurice Chappaz, beaucoup d’auteurs italiens, des références à la Grèce antique, la chrétienté, notre culture classique. C’est une réflexion sur le temps présent, mais, répétons le, sans aucun souci d’actualité ou de mode, guidée par le cœur et l’esprit. De bonnes raisons pour s’abonner à cette revue si différente comme notre 11ème blog…

Revue Conférence, semestrielle, paraît au printemps et à l’automne, rédaction et abonnements : 1, route Nationale, 77440 Trocy-en-Multien. Abonnement pour un an = 45 Euros. Le numéro 29 vient de paraître.

La revue Conférence publie également des ouvrages de bibliographie qui s’adressent à des esprits libres, typographiés et imprimés avec le même soin : « Dans cet espace, le bruit de la communication menace la qualité de la parole ; la production en série, le sens de l’habitation humaine ; la vitesse des échanges, la persévérance de l’esprit et la beauté du geste. » Site : http://www.revue-conference.com

L'illustration d'Yves Noblet, Paysage à Quimperlé, huile sur toile, 1985, figure dans le numéro 28.

dimanche 8 novembre 2009

De l'amour au XVIIIe siècle




On pourrait croire le siècle des lumières celui des Liaisons dangereuses, des amours tumultueuses et nombreuses. Il est avant tout celui de la recherche de l’amour. Amour fidèle, unique, constant, qui unit les sens et les sentiments. Mais ce n’est pas un amour matrimonial, c’est une quête nouvelle du bonheur, d’une deuxième chance en dehors du mariage qui, lui a d’autres fonctions, non remises en cause. Après un mariage de convenances, et la procréation de peu, prou ou nombre d’enfants, quelques personnes de la haute société ont mené une vie heureuse avec un amant ou une maîtresse, eux-mêmes mariés, et à créer ou recréer une vie conjugale et amoureuse. « C’était le dix-huitième siècle expiré et marié à sa manière. Il suffit de tenir bon dans la vie, pour que les illégitimités deviennent des légitimités . On se sent une estime infinie pour l’immoralité, parce qu’elle n’a pas cessé de l’être, et que le temps l’a décorée de rides. » écrit Chateaubriand dans les Mémoires d‘Outre-Tombe.
Ce siècle nous en montre de nombreux exemples comme Mme d’Houdetot et Saint-Lambert, Mme d’Epinay et Grimm, le duc d’Orléans et Mme de Montesson, et les plus célèbres d’entre eux, le chevalier de Boufflers et la comtesse de Sabran. Et pourtant, elle était veuve, il était célibataire, étant chevalier de Malte, mais les convenances, les intérêts de fortune et de famille n’autorisaient pas ce mariage qui ne put se faire qu’après la Révolution où ils sont devenus pour la société l’image vivante de Philémon et Baucis comme l’écrit Madame de Chastenay, dans ses Mémoires - qui viennent de reparaître en texte intégral dans la même Bibliothèque d’Evelyne Lever - « Ils étaient tous les deux d’une simplicité romantique » ajoute-t-elle.
Avec la publication du premier volume de leur correspondance, nous vivons les débuts de cette histoire amoureuse, fort bien commentée et annotée par Sue Carrell, spécialiste américaine de la littérature française : en mai 1777 le prince de Ligne présenta le chevalier de Boufflers, cadet d’une grande famille picarde, sans fortune, colonel du régiment de Chartres-infanterie, homme d’esprit peu goûté de la cour à cause de ses vers et de sa liberté de parole, à une jolie brune piquante, la comtesse de Sabran dont les traits ont été immortalisés par Mme Vigée-Lebrun. Eléonore de Jean de Manville, héritière d’un riche trésorier général de France avait épousé à 19 ans en 1766, un vieil amiral de cour, le comte de Sabran, d’une famille provençale très illustre mais très gueuse. Le mariage de la poire et de la soif selon un formule courante de l’Ancien régime. En échange de sa dot, la nouvelle épouse fut reçue aux honneurs de la cour où sa beauté et son esprit en firent vite une jeune femme à la mode. Veuve avec deux enfants dès 1775, elle acheta un des plus jolis hôtels de Paris, rue du Faubourg-St Honoré et mit son honneur et sa vertu sous la protection de Mgr de Sabran évêque de Laon. Sa vertu était grande et c’est par une amitié fraternelle que commence cette correspondance mais qui ne trompe personne. On les sent qui s’aiment malgré les mots «ma sœur» et «mon frère» ! Il faut attendre mai 1781 pour une première nuit ensemble dans le ravissant lit bleu de la comtesse. La vraie correspondance amoureuse peut alors commencer, avec ses crises de jalousie, ses caprices, ses raccommodements et ce premier volume s’arrête au moment ou le chevalier de Boufflers désireux d’acquérir un peu de gloire est nommé gouverneur du Sénégal en 1785. Deux autres volumes suivront l’année prochaine qui seront, comme le premier, remplis d’inédits et de détails qui nous éloignent des Liaisons dangereuses : « Adieu, amie; écrit le chevalier en 1784, adieu, amour, adieu, ange, archange ; adieu, douce domination dont mon cœur et ma raison même ne se défendront jamais ».

La comtesse de Sabran et le chevalier de Boufflers, Le lit bleu, correspondance 1777-1785, édition établie et présentée par Sue Carrell, Tallandier, 22 euros.

Victorine de Chastenay, Deux révolutions pour une seule vie : Mémoires 1771-1855, édités par Raymond Trousson, Tallandier, 32 Euros.