L’avion de Moscou est parti a 11 heures et demi du soir de Cheremetievo. Quatre heures après il est arrivé a Barnaoul, capitale de la région Altaïskikraï, à 6 heures du matin, heure locale. Le jour se lève sur la plaine sibérienne avec une lumière d’automne chaude et un air vif – 5 degrés - qui ne réussit pas a nous réveiller. Nous sautons dans une voiture pour rejoindre Gorno-Altaïsk, capitale de la république autonome d’Altaï, a 350 kilomètres. Pause café dans un kiosque au bord de la route, dans les fumets des premiers chachliks des voyageurs. Nous sommes au bout du monde, heureusement Coca cola et les téléphones portables nous rappellent que le monde est partout. Je suis venu en Altaï pour célébrer la traduction du Petit Prince en langue altaïque. C’est la 180eme traduction du livre de Saint-Exupéry ou quelque chose comme ça... pourquoi l’altaïque, pourquoi pas le kalmouke ou le bouriate ? Parce que nous sommes ici aussi a l’origine du monde. Parmi les nombreuses traces d’un très riche passé pré-historique, un des plus vieux alphabets du monde. Et une langue dans le groupe ouralo-altaïque a l’origine du turc, et cousine du mongol, du kirghize, de l’ouzbek ou de l’Ouigour. Elle serait aussi l’ancêtre du japonais.
Le traducteur Brantoï Iangovitch Bediorov est le leader spirituel du peuple Altaï. Comme Mistral a été le restaurateur de la langue provençale, il est le restaurateur de la langue Altaï, de son folklore et de sa musique. Leur vrai nom est « Djungar » pour les Russes et « Oïrotia » dans leur propre langue ce qui signifie aussi terre ou planète. C’est le seul peuple de la terre qui porte le nom de sa planète. C’est dire sa volonté d’être au centre du monde exprimée par Brontoï Iangovitch. En dehors de ce complexe ethnique et linguistique qui les rattache à l’Asie centrale, les Altaï vivent dans un groupe de peuples sibériens voisins et similaires comme les Touva, les Aka, ou les Bouriates.
La transmission intergénérationnelle de leur langue et leurs traditions a été suspendue pendant la période soviétique. Ils ont donc besoin de la rétablir. Ils tiennent beaucoup à cette notion d’ancêtres et de traditions transmises génétiquement. Ce qui les distingue le plus de leurs voisins et des Russes, c’est la connaissance de la Chine et leur rôle historique de gardien de la frontière chinoise. Ce qui peut prêter à sourire, 70.000 contre un milliard et demi ! Mais ils sont fiers d’être la seule province frontalière sans un seul émigré chinois. Le Chinois est l’ennemi héréditaire. Les Altaï pensent mieux connaître leurs voisins que les Russes qui en savent pas qu’ils vont être envahis. Leurs ancêtres leur ont répété qu’il faut maintenir la Chine dans ses frontières pour le bien des Chinois et des autres. Aussi ont-ils choisis le protectorat russe lors de la guerre de 1755-59 contre la Chine, plutôt que de finir en peuple esclave comme les Ouïgours. Ce qui n’a pas empéché les Altaï de toujours faire ce qu’ils ont voulu. Les accords avec le Tsar prévoyaient un gouverneur russe à Biisk, l’ancienne capitale avec un conseil des chefs de clans, et surtout les écartait de tout service militaire russe. Nicolas II voulut supendre cet accord en 1916 mais il n’en eut pas le temps… A la chute de l’U.R.S.S. ils ont réussi à créer une république autonome sur une petite partie de leurs anciens territoires aujourd’hui partagés entre la Mongolie, le Kazakhstan et la région Altaïskikraï. Mais ce n’est pas grave, ils sont prêts à assurer à nouveau leur rôle de gardien de la frontière chinoise, à reprendre leur indépendance complète, c’est leur secret espoir. On leur dit que l’époque n’est peut-être pas favorable à l’indépendance des anciennes colonies russes. Brontoï Iangovitch sourit finement en expliquant que les Altaï ont le temps pour eux car, dit-il : « Pour que les tomates aient du jus, il faut qu’elles rougissent » !
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