dimanche 8 juin 2008

Les quatre saisons de Carmontelle

On présente à Sceaux les Quatre Saisons de Carmontelle, un transparent peint du XVIIIe siècle, un trésor que le musée de l’île de France vient de restaurer. Qui veut avoir une idée du paysage, des mœurs, de la société de la France d’Ancien régime doit courir voir cette exposition. Ce transparent est placé au milieu des divertissements et illusions du siècle des lumières, chambres et boites d’optique, lanternes magiques et autres ancêtres du cinématographe. Composé de 119 feuillets soit 42 mètres peint à la gouache sur vélin par Louis Carrogis, dit Carmontelle (1717-1806), peintre, jardinier, auteur, le transparent était placé dans un cylindre qui permettait de le faire tourner en continu devant une lumière lui donnant un effet de transparence.On retrouve le charme de ces peintures dans ses portraits, presque tous de profils de toute la société parisienne du XVIIIe siècle. La majeure partie de ces gouaches est conservée au château de Chantilly. Un des nombreux mérites de cette exposition est de la replacer aussi dans le cadre des créations de jardins, châteaux et résidences du règne de Louis XVI, de l’âge néo-classique, Mousseaux – aujourd’hui le parc Monceau- dessiné par Carmontelle pour le duc de Chartres, Ermenonville, le Raincy, Betz, Méréville, Mortfontaine, Villers-Cotterêts, où la nature reprenait ses droits. Cette transformation du paysage est aussi la transformation de la société. L’immense influence de Rousseau a engendré de nouvelles relations entre l’homme et la nature. L’accomplissement de la vie familiale, l’attachement nouveau pour les enfants et leur éducation. Pour la première fois nous explique Marc Fumaroli dans « L’invention de l’enfance chez Rousseau et Chateaubriand »la société aristocratique ne voyait plus dans l’enfant un adulte en miniature qu’il façonnait tel quel. Le voussoiement est abandonné au profit du tutoiement en famille et entre camarades. Les prénoms usuels remplacent le Monsieur ou Madame du grand siècle. C’est époque est aussi le passage du clavecin, instrument des princes et des nobles, au pianoforte, prisé depuis 1760 par la bourgeoisie montante, évolution esthétique et technique commentée par Jean-Patrice Brosse dans son ouvrage sur le clavecin. Le retour à l’antique, aux vertus romaines et grecques, la fin de l’ornement, du baroque, du rococo, de l’appogiatura marquent cet âge préromantique. Bref la fin d’un monde aristocratique au profit d’un nouveau monde, protestant, anglo-saxon, puritain, bourgeois, sentimental… On n'en est pas encore là avec Carmontelle mais on est sur le chemin de la liberté qui mènera à la Révolution et détruira tous ces endroits merveilleux ou l’on jouait aux apprentis sorciers. Et, selon le baron de Frénilly –qui a dressé de lui son meilleur portrait, oublié par les commissaires de l’exposition de Sceaux – dans ces châteaux et hôtels : « On y jouait souvent des proverbes de Carmontelle, de ce Carmontelle qui était alors dans le beau monde de Paris l’âme et l’arbitre de tous les plaisirs du bon goût. C’était un homme sec, à la figure longue et sévère, au rire sardonique impérieux, colère et cachant sous cette âpreté de formes un coeur très bon et une âme singulièrement élevée. Il avait commencé à élever les enfants du marquis d’Armentières. Puis il était devenu lecteur du duc d’Orléans. Son ambition en resta là. Peu de choses lui suffisaient, car il était d’autant plus fier qu’il se sentait plus pauvre. Il dînait partout et n’était parasite nulle part. Il amusait tout le monde et en ami qui oblige : artiste gratuit, homme du grand monde, à pied. Il possédait tous les petits talents qui convenaient à son siècle, au petit siècle où il vivait. Il faisait en quatre coups de pinceau ou de crayon des portraits mauvais mais ressemblant, et j’en ai conservé quelques uns entre autres celui de Mlle Necker. Il dessinait et plantait des jardins assez extraordinaires, car ils n’étaient pas français, et il se mettait en fureur quand on les appelait des jardins anglais. Il avait planté celui de mon père à Saint-Ouen et le fameux jardin de Mousseaux sur le mur duquel il avait écrit : Ceci n’est point un jardin anglais. On se serait plutôt passé de Le Nôtre sous Louis XIV, que de Carmontelle en ce temps là ! Et que ne faisait-il pas encore ! Ses proverbes n’étaient pas trop bons ; mais il attrapait le ton, le genre, le style, la manière de différentes classes de la société avec une vérité extrême, et quelquefois piquante. On les avait joué à Villers-Cotterêts où ils consolaient de l’ennui des drames de Mme de Montesson... Il était à lui seul le peintre, l’architecte, le décorateur et le costumier. En voici un exemple dont j’ai été témoin et acteur. Il se trouvait à la campagne chez mon père. On résolut pour amuser notre bande d’enfants de nous faire jouer le lendemain le proverbe du Petit Don Quichotte. Il fallait une salle, des gradins, une décoration de forêt, un lointain de village et de montagne, des costumes, des armes. Tout cela fut pour Carmontelle l’ouvrage de vingt quatre heures. Une longue et large orangerie vide en été, était remplie au tiers de bottes de foin. En une demi heure les bottes de foin, fixées par des piquets, s’élevèrent comme les gradins de l’amphithéâtre de Vérone pour asseoir tous les bourgeois de Saint-Ouen. La bonne compagnie eut des chaises dans l’arène de ce cirque. D’énormes branches d’arbres taillées dans le jardin formèrent à la fois la forêt et la coulisse. Quant au lointain, Carmontelle fit coudre ensemble six paires de draps, délayer de la bouse de vache, cuire des épinards, piler de la brique : voilà déjà du bistre , du vert et du rouge. Je ne sais quelles furent ses autres couleurs ; mais ce que je sais, c’est que le lendemain au soir la toile du fond, village, arbres, montagne, perspective, étaient en place et d’un fort bon effet. Enfin, dernier talent, qui n’a pas connu ses transparents ? C’était une invention charmante, la plus ingénieuse du monde, et qu’on a mal imitée depuis : au moyen d’une bande de papier qui se déroulait d’un cylindre pour s’enrôler sur l’autre, un tableau de quinze pouces de haut sur trois pieds de large se renouvelait sans fin, en faisant passer sous les yeux des campagnes, des villes, des monuments, des bals, des illuminations, des incendies, une foule des scènes de la vie. Carmontelle en fit plusieurs de ce genre et leur dut de ne pas mourir à l’hôpital. Car lorsqu’il vit les complots de ce détestable prince, il quitta noblement sa place de lecteur dont il vivait et serait mort de faim sans demander ni se plaindre, si l’excellent duc de Charost qui l’aimait et l’estimait n’eut trouvé le moyen de lui faire accepter une rente viagère de 4.000 francs pour le prix d’un de ses transparents ».
Une exposition et un catalogue à ne pas manquer : Les Quatre saisons de Carmontelle, divertissement et illusions au siècle des lumières, Somogy, Editions d’Art, Musée de l’île de France, Paris, 2008. L’exposition se tient jusqu’au 18 août.

Mémoires du baron de Frénilly 1768-1848, souvenirs d’un ultraroyaliste, L’Histoire en Mémoire, Perrin, introduction et notes de Frédéric d’Agay, 1987, p. 19 et 20.

Marc Fumaroli, « L’invention de l’enfance chez Rousseau et Chateaubriand » dans une nouvelle revue appelée Clartés Grandes signatures (N°1, avril 2008)

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