La mode aujourd’hui est de réécrire l’histoire sans être historien. Depuis longtemps déjà les conservateurs de musée, dans les catalogues d’exposition par exemple, nous déroulent de grandes théories historiques pour expliquer le sens de telle œuvre ou renomment des tableaux car cela sonne mieux. Peut être pour nous faire sentir le poids de leur science. Cela tombe souvent à côté. Des hommes politiques tricotent des livres d’histoire, généralement des biographies, que l’apprenti psychanalyste n’aura pas de mal à décrypter. Cela ne veut pas dire que la psychanalyse ne fait pas aussi son miel avec les historiens… Mais quand on parle des Cent Jours, période cruciale de la constitution de la France contemporaine, il vaut mieux laisser la parole aux connaisseurs.
Emmanuel de Waresquiel est de ceux-là. Brillant historien de la Restauration, sa biographie lumineuse de Talleyrand le conduisait directement à « revisiter » les Cent Jours sans dresser une apologie commune de Napoléon, ou la énième critique de la Restauration, mais à lui redonner tout son sens : c’est un épisode de l’histoire dont on se serait bien passé, qui nous a coûté très cher politiquement, économiquement, affectivement. Quel orgueil, quelle vanité pour revenir rétablir sur un trône qu’on déclare légitime et qui a dix ans d’existence face aux 83 rois qui ont fait la France ! Pire, c’est une faute politique, d’intuition, de goût. Napoléon savait pertinemment que cette aventure serait éphémère… que signifie éphémère… ce qui disparaît…Mais la gloire de Napoléon n’a pas disparu, au contraire… c’est justement ce mystère que Waresquiel nous fait revivre devant nous comme un scénario de film à l’étonnante mise en scène. Avec des héros, des rebondissements, des traîtres, des combats, tout concourt au succès du film, les plans, les décors, les dialogues, les intrigues, les mystères et les passions. Hélas, car ce sont les passions françaises qui dominent cet épisode historique du XIXe siècle. Il était une fois un tyran qui tombe pour le plus grand bonheur de son peuple, certes qu’il avait libéré de beaucoup de choses mais dont le régime militaire ensanglantait le monde qui voulait se débarrasser de lui. On ne le pend pas, grave erreur, et on lui donne un mini trône sur une île. Mais Monsieur s’embête et s’entête. Le roi légitime qui a repris son trône redonne à son pays liberté, la démocratie et assure la réunion de l’ancien régime et de la Révolution. De cette fusion devait naître une nouvelle monarchie constitutionnelle. Mais bien sûr la paix et le commerce triomphent. On a licencié la Grande Armée et les vétérans grondent comme tous les vétérans. L’exilé insulaire pense qu’il doit conduire ce grondement, revenir avec ses oripeaux de drapeaux, canons et trompettes. Il veut se « refaire » comme un joueur qui a tout perdu et lance son dernier coup ! Projet insensé voué dès sa conception à l’échec quand on est l’ennemi public N° 1 de l’Europe. Résultat, Waterloo, une raclée anglaise de plus, des années d’occupation étrangère, des centaines de millions de francs d’indemnité et de coûts, des frontières réduites, la naissance du conflit franco-allemand. Mais surtout, en rouvrant la boite de Pandore il a rendu la Restauration et de la fusion des Français impossible. Les Cent Jours ont formé « la ligne de partage de deux France haineuses, l’« ancienne » et la « nouvelle »… depuis les Cent Jours… les opinions sont devenues des causes de division jusque dans l’intérieur des familles». Ce dernier épisode de la révolution française a tout gâté en redonnant vie aux deux camps ennemis qui n’ont pas cessé de s’affronter jusqu’à aujourd’hui : les blancs et les bleus, les calotins et les laïcs, les anciens et les modernes, les légitimistes et les libéraux, les pétainistes et les gaullistes, les Algérie françaises et les indépendantistes, dreyfusards et anti…. Il a exacerbé les passions françaises. Et Louis XVIII est un des vaincus de l’histoire malgré son intelligence et ses faiblesses. Waresquiel nous en donne un portrait saisissant, le meilleur depuis la biographie de Philip Mansel. Son livre aurait dû s’appeler : « les Cent Jours du Roi ».
Emmanuel de Waresquiel, Cent Jours, la tentation de l'impossible, mars-juillet 1815. Fayard, septembre 2008. 687 pages. 28€.
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