vendredi 24 juillet 2009

Petite sonate autrichienne



L’histoire des familles aristocratiques constitue un fonds inépuisable de la littérature mondiale, sagas qui nous décrivent le pater familias, les saintes, les exclus….les différentes branches, les alliances, les amours et les coups tordus dans des châteaux de rêve ou des manoirs hurlant et sifflant…Réussies, elles nous donnent comme Au plaisir de Dieu de Jean d’Ormesson un ton, un air qui résonne longtemps en nous et nous emmène là où la littérature doit nous emmener. Mais on a jamais été aussi loin que Thomas Bernhard dans Extinction que Gallimard vient de publier dans la collection L’Imaginaire. Ce livre est le contraire d’une saga, c’est un souffle de l’intérieur d’une famille, d’un château, de l’Autriche qui nous révèle son aspect petit bourgeois et hypocrite que l’on sent à Vienne et dans l’ancien empire C’est un récit à la façon de Thomas Bernhard qui nous martèle et nous ressasse la destinée d’une famille en voix d’extinction. Car toutes les familles, mêmes les plus illustres, les plus anciennes ou qui se croient immortelles à la façon des Esterhazy qui ont pour devise « Quand Dieu créa le monde Adam III Esterhazy vint le féliciter », toutes ces familles orgueilleuses et vaniteuses vont s’éteindre. Déjà Marc-Aurèle dans ses Pensées ( VIII, XXXI) disait “Vois encore ailleurs non la mort d’un seul homme, par exemple, celle de la race entière de Pompée. Aussi, trouve-t-on gravé sur les tombeaux : ci-gît le dernier de sa race. Songe combien les ancêtres de celui-ci s’étaient donné de peine pour laisser un héritier de leur nom. Quelqu’un sera nécessairement le dernier; par conséquent la famille entière mourra.” Cela aurait pu être l’exergue d’Extinction, Le narrateur est un cadet de grande famille qui vit à Rome où il donne des leçons de littérature allemande à un étudiant. Et il lui raconte son choix de Rome, de l’Italie, de la culture italienne et de l’art de vivre contre sa famille engoncée dans les traditions d’un immense château millénaire, dans un climat froid et brumeux au milieu des forêts, des chasses et de la religion… de l’apparence… Il se sert de cette confession pour nous distiller les critiques les plus acerbes, les plus amères contre la famille, contre sa mère, l’église, l’Autriche , l’esprit national socialiste autrichien, l’hypocrisie autrichienne… un espèce de décadence de la Mittel Europa, d’envers des choses… On croit maintenir un passé aristocratique alors qu’on vit dans la compromission la plus abjecte. Qu’y a–t-il sous les Loden, les jolis tabliers salzbourgeois, l’amour de la musique viennoise et la catholicisme le plus triomphant? Quelles sont les vraies relations entre sa mère et un prélat autrichien fixé à Rome? Pourquoi les bibliothèques sont-elles toujours fermées à Wolfsegg? Pourquoi son oncle si cultivé et charmant est-il considéré comme un paria par une famille si conformiste imprègnée d’esprit petit bourgeois oppressant? Ses membres se prennent pour des géants qui ne sont que des marionnettes. Murau parti à Rome écrit pour se délivrer de cette oppression, mêlée de nostalgie et d’amertume. Amertume d’une destinée qui aurait pu être autre si on avait poursuivi la lignée dans ce qu’elle avait de beau, d’innovant, de spirituel dans les temps anciens. C’est que depuis le XIXe comme l’écrit Châteaubriant dans les Mémoires d’Outre-tombe, la noblesse est entrée dans l’âge des vanités… Cette destinée prend un tour inattendu quand les parents et le frère aînée de Murau meurent dans un accident de voiture et qu’il devient l’aîné de la famille, le maître de Wolfsegg… Il va conduire la famille à l’extinction selon une logique implacable mêlée de vengeance, de respect et de justice. C’est un des meilleurs romans de Thomas Bernhard, un de ceux qu’on lit en trois ou quatre nuits, totalement absorbé par une lecture qui nous laisse pantelant et songeur après avoir tourné la dernière page…. Une petite sonate autrichienne insistante et sardonique pour l'été.

Thomas Bernhard, Extinction, Gallimard, L’Imaginaire, 9 €

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