A l’opposé de Cannes , il est une destination maritime où je rêvais depuis longtemps d’aller, une cité aux confins de l’histoire, de la littérature et de la mer, Dieppe. Profitant d’un temps normand de printemps qui alternait la pluie, le crachin, le grand soleil et les orages, nous sommes partis à la découverte d’un lieu qui ne correspondait en rien à ce que j’imaginais. D’une intense activité portuaire, il ne reste rien, ou presque. Une malle pour l’Angleterre tous les soirs, quelques chalutiers, des promènes couillons, une dizaine de voiliers….les quais, docks, hangars sont déserts, c’est d’une tristesse infinie comme si la vie s’était retirée en même temps que la mer. Une mairie affreuse, un front de mer aussi mal reconstruit que partout dans la France d’après guerre. Hôtels et casinos d’une laideur inouïe. La vieille ville est plus préservée et pittoresque, beaucoup de belles maisons sont à vendre ou à louer. Deux églises gothiques, Saint Rémy et Saint Jacques, bijoux l’architecture normande, d’une taille de cathédrale, dans un état lamentable. Ce sont des chefs d’œuvre en péril... Dans l’une, un filet pour les chutes de pierre et de gravas, l’autre est coupée en deux. On y expose un affreux peintre local qui vend ses croûtes entre deux contreplaqués…Triste exemple de la situation du patrimoine religieux français. La ville de Dieppe ne peut certainement pas faire face toute seule à l’entretien de ces deux édifices, avec 30.000 habitants une économie en déroute…Pourtant les touristes, Anglais surtout, se manquent pas depuis toujours ! Première cité européenne des pèlerins de Saint-Jacques qui débarquaient de Brighton, Dieppe nous montre là sa richesse médiévale.
C’est cette richesse que l’on retrouve au musée du château qui surplombe la ville. Exquis musée de province qui nous offre des collections très variées, ayant chacune un grand intérêt grâce à l’intelligence et au goût du conservateur. Toute l’histoire maritime est présentée, liée aux aventuriers dieppois, aux Ango, à Duquesne, tableaux d’Isabey, maquettes de bateaux. L’histoire locale avec le lancement de la première station balnéaire sous la Restauration par la duchesse de Berry dont on voit le portrait offert à la ville. Il faudrait aussi sauver à ce propos le petit théâtre construit en 1826, unique en France avec sa machinerie et son décor fermé depuis 50 ans… La collection de tableaux comprend un beau portrait de Courbet, Jacques Emile Blanche, Lebourg et toute l’école normande de paysage, un merveilleux Fantin-Latour très symboliste, un portrait d’écuyère de Van Dongen. Mais la spécificité du musée est l’ivoire. Les marins dieppois du Moyen Age et de la Renaissance allèrent prendre le tabac et l’ivoire sur les côtes d’Afrique d’où les premières manufactures de tabac qu’il fallait râper, les râpes étaient protégées par des morceaux d’ivoire sculptés… les artistes se sont déplacés vers Dieppe pour s’approvisionner et travailler sur place. Voila comment est né cet art que l’on découvre avec joie, car au delà des christs, statues de saints et scènes religieuses, dont certaines sont admirables dans leur architecture « Renaissance », on découvre des médaillons et portraits de grands, de princes européens, de seigneur normands comme d’armateurs dieppois, des scènes mythologiques – Apollon et Daphné – des bustes, des paysages ajourés imitant le Wedgwood, des bijoux… c’est inattendu dans la variété et le talent. Plus loin, sont les figurines de terre cuite ou crue de Pierre-Adrien Graillon, autodidacte dieppois encouragé par David d’Angers qui a représenté comme des santons laïques ses contemporains, les pauvres et les bourgeois de Dieppe. Il est le créateur d’un monde comme Balzac et Daumier, qu’il a aussi retranscrit sur des panneaux de bois d’une grande fraîcheur d’exécution et d’imagination. Il faut aussi signaler les collections et le mobilier de Camille Saint-Saens pour les amateurs de musique.
De la terrasse du château, on domine la ville et la côte vers Varengeville où le jardin du Bois des Moutiers offre en cette saison les plus beaux rhododendrons de France qui s’étalent dans les vallons vers la mer. A deux heures de Paris.
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