La publication d’un journal de collectionneur est toujours l’écho d‘une passion, c’est ce qui nous touche, même si le sujet n’est pas de nature à nous enthousiasmer. Il nous est tous arrivé de rencontrer un homme un peu terne, un fonctionnaire falot, un interlocuteur triste et, par hasard, une phrase de la conversation évoque le thème de sa vie, de sa passion, de sa collection, et on voit alors dans ses yeux une lueur nouvelle, il s’enflamme, il devient loquace, son visage se transforme, une métamorphose le rend à nos yeux, beau, séduisant, intéressant et on se dit : « Voilà son jardin secret… » La publication que vient de faire Jacqueline du Pasquier est de cet ordre là. On ne sait pas si on aurait sympathisé avec Raymond Janvrot (1884-1966), bon bourgeois bordelais, vieux garçon, un peu guindé et formel vivant avec sa mère, ruiné et maladif… mais il tenait un journal (de 1900 à sa mort) qui nous permet de pénétrer dans l’intimité de sa collection de souvenirs royalistes, de partager sa ferveur, d’en comprendre l’orientation mais aussi de cerner la psychologie du collectionneur. Est-ce la ruine de sa famille qui l’incita à s’intéresser aux derniers moments de la royauté : les derniers rois et princes, les révolutions de 1789, 1830, 1848, l’exil, avec une prédilection pour la duchesse de Berry et le château de Froshdorf. Ce cousin Pons du XXe siècle raconte ses achats, les âpres négociations avec les antiquaires, les héritiers qui vendent en douce, ceux qu’il presse de vendre à Bordeaux, Paris, Nice, en Italie, en Autriche…partout, il revient avec des valises, des caisses, des paquets en 3e classe n’ayant plus assez d’argent, tremblant aux postes frontières. Il fustige l’inculture de visiteurs médiocres, l’esprit bourgeois qui conserve ses biens sans les comprendre et sans les aimer et les chipies bordelaises qui « manifestaient leur ignorance et leur stupidité ». Son journal est publié par extraits, reliés entre eux par Jacqueline du Pasquier, historienne de l’art, conservateur en chef honoraire du musée des Arts décoratifs de Bordeaux et directrice de la Revue de Sèvres. Avec un grand talent, elle a su regrouper par thèmes ou par périodes son amour des rois, sa mélancolie, ses objets inanimés, les échos de la vie bordelaise, accompagnés des illustrations de ses chefs d’œuvres : miniatures, portraits, opalines, médailles, sulfures, bustes, porcelaines, gants, gravures etc.…au total 18.000 œuvres cédées ou léguées à la ville de Bordeaux en 1958 et 1966 qui n’a jamais ouvert le musée que Jacques Chaban-Delmas lui avait promis et les laissent aujourd’hui dormir dans des réserves : une partie des salles qui lui étaient consacrées au Musée des Arts décoratifs viennent d’être transformées en boutique… c’est la nouvelle muséologie de l’argent… Ce livre est donc bien venu qui rend hommage à cet homme de cœur dont la vie fut orientée par un amour fou.
Jacqueline du Pasquier, Raymond Jeanvrot, une passion royaliste, Somogy/musée des arts décoratifs de Bordeaux, 2007, 28 €.
Jacqueline du Pasquier, Raymond Jeanvrot, une passion royaliste, Somogy/musée des arts décoratifs de Bordeaux, 2007, 28 €.
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