mardi 3 juin 2008

Perpignan et la grâce française

Le traité des Pyrénées donna à la France en 1659 le Roussillon et la Cerdagne, deux parties démembrées de l’ancien royaume d‘Aragon, réunis au sein de « toutes les Espagnes » des Habsbourg. Louis XIV et Louvois s’empressèrent de fortifier la nouvelle frontière et d’envoyer Vauban donner au vieux château de Perpignan – pompeusement appelé dans la sémantique pseudo historicisante d’aujourd’hui « palais des rois de Majorque » - ce bel aspect de citadelle française qui court tout le long de l’hexagone. Notre fameux hexagone national n’a-t il pas d’ailleurs la forme d’un fort « à la Vauban » ? C’est peut-être le premier symbole de cette nouvelle unité française que cette uniformité louis-quatorzienne de la défense de nos frontières. Vauban a uni la Flandre, le Hainaut, l‘Alsace, le Dauphiné, la Provence, le Roussillon aux provinces maritimes par l’érection des citadelles imprenables toutes issues d’une même intelligence. Dans ces nouvelles provinces où l’on ne parlait pas français, l’arrivée de garnisons, avec soldats, bas officiers, officiers français dût être un premier contact avec le royaume des lys, l’apprentissage de la langue, les manières françaises. Les amours, les amitiés, le travail conjoint permirent de tisser cette unité française tant vantée. Et pourtant dans la Perpignan du XXIe siècle, on est surpris des particularismes de cette ville qui se refuse au voyageur et tourne comme trois spirales catalane, arabe et gitane autour du château, sans se rencontrer. « Perpignan une et plurielle » lit-on partout : c’est un programme peut être, pas une réalité. Une austérité inconnue des provinces méditerranéennes qui rappelle l’Espagne, un manque de générosité dans bien des aspects de la vie quotidienne, un sentiment de ne pas être d’ici entraîne le désir de passer son chemin. Ce manque de putasserie touristique est séduisant, cet aspect de recherches des clefs de la ville est du goût de l’historien. Mais l’ambiance, l’atmosphère, l’air qui flotte dans la ville est spécial. C’est bien sur par hasard que, le même jour, le château, la belle église de la Réale, l’exposition Vauban, la moitié de la cathédrale aient été fermés. Travaux en cours… cette belle endormie se met à vouloir entretenir son patrimoine. Las, le musée Rigaud est le plus triste musée du monde. Installé dans un bel hôtel particulier légué à la ville par Mme de Lazerme – centenaire toujours vivante dans une partie de l’édifice, et trois fois portraiturée par Picasso - il a été massacré par manques de soins et l’avarice municipale. On y admire pourtant dans la ville natale du plus grand portraitiste français des temps modernes, l’autoportrait de Rigaud au turban mis trop haut entre deux fenêtres, donc impossible à voir. En face, le portrait du duc de Chartres mal éclairé, n’est que vernis brillant. Le grand portrait en pied du cardinal de Bouillon enturbanné de cent mètres de moire pourpre, avec un marteau d’or à la main pour rappeler qu’il avait ouvert le mur de Saint Pierre de Rome en cette année jubilaire 1700, est le symbole même de ces portraits d’apparat ou Rigaud nous livre derrière la pompe le caractère de son commanditaire. Le cardinal de Bouillon est l’exemple de la vanité et de la morgue des La Tour d’Auvergne, de leur quête incessante du titre de prince étranger fustigé par Saint-Simon. Louis XIV le détestait et lui retira l’ordre du Saint Esprit qui orne avantageusement son camail d’hermine d’une tâche bleu! Rigaud nous dit tout cela, comme il nous raconte sa famille et bien des grands. Dans une autre salle de ce musée abandonné, un tableau de Jean-François de Troy qui s’intitule «Le concert ou l’accord parfait». On y voit deux jeunes femmes jouant du luth et de la flûte au premier plan et un violoniste qui les accompagne. Leurs costumes sont « à la Watteau », mais l’expression de leur jeu, de leur concentration et de leur accord est si merveilleuse qu’on croit entendre la musique de ce trio et qu’on leur sourit remerciant in fine la ville de Perpignan de nous offrir tant de grâce française.

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Pertinente et charmante évocation de ma ville natale.Le musée est effectivement bien mal en point
surtout pour des raisons politiciennes!