jeudi 4 décembre 2008

Dieu et la laïcite au Québec


Mère Marie de l'Incarnation

Le centre culturel canadien à Paris sous l’égide de sa rayonnante directrice, Louise Blais, vient de lancer, avec le concours de l’Office national du film canadien, un programme de projection de films documentaires et engagés, « e-cinéma à Paris ». La première séance était consacrée à une histoire d’amour, le récit d‘une passion liant une femme à …Dieu, son divin époux. « Folle de Dieu » nous raconte l’histoire de Mère Marie de l’Incarnation, la première mystique canadienne et fondatrice du couvent des Ursulines de Québec en 1639. Originaire de Tours où Marie Guyart est née en 1599, veuve avec un fils de douze ans, elle l’abandonne pour entrer dans les ordres et rejoindre la Nouvelle France qu’elle avait vu en songe. Dans ce pays inconnu, glacé et sans entraves, elle peut donner libre cours à sa passion de Dieu à travers l’éducation des jeunes amérindiennes avec qui elle noue des liens profonds : avant la lettre elle entre dans la culture des autres, apprend leur langue et leurs usages pour les évangéliser avec douceur et amour. Et surtout elle écrit beaucoup à son fils, Dom Claude, entré chez les bénédictins et réformateur de la congrégation de St Maur. Cette fille de boulanger possède un style qui en fait une des grandes épistolières du XVIIe siècle. Son fils l’a engagé à raconter sa vie et son expérience de mystique qui a été comparée à celle de Sainte Thérèse. Le film ne nous raconte pas sa vie, mais la façon dont la comédienne Marie Tifo entre dans ce rôle à priori peu compatible avec le monde d’aujourd’hui. Entourée d’historiens, de psychanalystes, d’une chorégraphe et d’une religieuse Ursuline, nous la voyons entrer dans ce monde des extases qui rejoint le mot du président de Brosses voyant l’Extase de Ste Thérèse du Bernin à Rome «Ah si c’est cela, j’en ai beaucoup vu ! » Extase spirituelle et charnelle qui fait d’elle une folle de Dieu. Cette « mère de l’église du Québec », selon Jean Paul II qui l’a béatifiée, a contribué à marquer la Nouvelle France de cette empreinte de religion et de piété. Même si aujourd’hui le Québec est la nation la plus en pointe dans le monde dans le domaine de la laïcité interculturelle.
Ce fut le thème du déjeuner qui suivit la projection du film animé par Jean-Philippe Raîche, directeur de l’écrit et de l’écran, premier d’une série de « déjeuners de l’esplanade ». La conversation s’engagea entre Jean-Daniel Lafond, réalisateur du film, l’ancien premier ministre Jean-Pierre Raffarin, grand ami du Québec, et le sociologue Jean Baubérot sur le passé religieux du Québec, les mythes d’oppression du clergé, la révolution tranquille et la laïcité aujourd’hui. « On a jeté le bébé avec l’eau du bain » a été la conclusion générale : écarter la religion et le clergé du champs politique est une nécessité mais rejeter le religieux et le sacré est une grave erreur. Et justement les étrangers nouvellement arrivés dans nos pays nous font réaliser que notre laïcité n’est plus vivable. Leurs exigences de respect de leur religion et de leurs traditions nous paraissent infondées et bousculent notre vie comme le port du voile, le refus de certaines viandes à la cantine, de nouveaux jours du culte, etc…. il faut revoir la laïcité. La commission instituée par Chirac en France et la loi qui a suivi plutôt a rejeté cette diversité au nom de la laïcité. Le Québec au contraire, exalte le multiculturalisme. Dans un pays où l’immigration est un facteur important, on a imaginé une politique d’ « accommodements raisonables » qui permet à des minorités religieuses d’obtenir juridiquement des accommodements en faveur de leurs revendications : ainsi un sikh a pu aller à l’école avec son couteau cultuel traditionnel. Mais on est allé très loin, des islamistes ont demandé d’instaurer un tribunal de la charia ! Devant les réactions émues de certains Québécois qui se sentent devenir étrangers dans leur propre pays, et la peur de conflits avec de nouveaux migrants, le premier ministre a donc demandé à une commission de livrer un rapport sur l’amélioration de la laïcité interculturelle.
Le livre de Jean Baubérot est une enquête sociologique sur cette crise. De nombreuses dérives judiciaires posent un vrai problème en prenant en compte ces particularismes. Un juge a, par exemple, condamné des Haïtiens dans un viol collectif mais en tenant compte du contexte de violence de Haïti ! Ces dérapages ont été exacerbés par les médias. La commission vient de rendre son rapport qui présente 37 recommandations dont diverses mesures de bon sens dans le port des signes religieux, le retrait du crucifix qui surplombe le siège du président du parlement du Québec qui est l’objet d’une véritable controverse. Elle préconise également des mesures énergiques pour « favoriser l’intégration des immigrants et lutter contre la discrimination ». Dans un Québec minoritaire face au Canada, avec ses propres minorités et ses migrants, on en finit pas de décliner les problèmes minoritaires. Mais ils ont pris le problème à bras le corps et donné une place claire aux accommodements raisonnables au plan juridique. Il faut encore « la développer comme pratique sociale, politique, culturelle, comme instrument clé d’une laïcité culturelle . La France ferait bien de s’inspirer des réflexions de nos cousins québécois.

« Folle de Dieu », film canadien de Jean-Daniel Lafond (2008)

« Une laïcité interculturelle : le Québec avenir de la France ? » par Jean Baubérot, Editions de l’Aube, 25 euros.

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