lundi 26 janvier 2009
Le président de Brosses, la justice et les laquais
L’article de Dominique Barella, dans le Monde du 23 janvier dernier, intitulé « La communauté judiciaire réduite aux laquais », fustige la soumission de la haute hiérarchie judiciaire aux désirs des princes régnants. L’ancien président de l’Union syndicale des magistrats rappelle que les magistrats récalcitrants aux ordres de Louis XV en janvier 1771 furent démis de leur fonction et exilés. On aura pas besoin d’en arriver jusque là aujourd’hui… Mais il ne dit pas pourquoi cette image de laquais lui est venue naturellement sous la plume. C’est un mot du président de Brosses (1709-1777). Ce haut magistrat, président à mortier du Parlement de Bourgogne, refusa de faire partie du nouveau parlement Maupeou en 1771. Voyant que son cousin, le conseiller Fevret de Fontette, avait accepté une place il eut un geste d’indignation : rentrant chez lui il jeta son manteau et son mortier à son valet de chambre en disant « Tenez, il n’y a plus que les laquais qui en puissent porter !»
Les anciens parlements furent rétablis au début du règne de Louis XVI en 1775 et Charles de Brosses, doyens des présidents fut nommé Premier président de Dijon. Car, si cet homme est connu aujourd’hui comme écrivain - et surtout comme l’auteur des « Lettres d’Italie », le meilleur récit de voyage du XVIIIe siècle dans la péninsule- il a avant tout mené une carrière et une activité de magistrat, depuis le jour où à vingt et un ans il endossa la robe de conseiller de son père : « Il faut être magistrat avant d’être homme de lettres… tout l’ennui de la place n’empêche pas qu’il faut qu’elle passe la première ». Mais le mortier au XVIIIe siècle est souvent compagnon de fortune, d’instruction et de curiosité et le milieu bourguignon avec Buffon et Bouhier fut propice à l’éclosion de beaux esprits. Le président de Brosses en est le parfait représentant, qui pourrait servir d’exemple aujourd’hui, avec une haute idée de sa fonction, mais sans morgue, une priorité pour le service du Roi, mais sans compromission, un attachement à toutes les formes de l’art et de l’esprit, mais sans exaltation philosophique. C’est ce qui l’empêcha de publier de son vivant ses lettres écrites d’Italie lors de son voyage de 1739-1740 et qu’il réécrivit dans son cabinet de Dijon. Il est passé à la postérité par cette oeuvre, mais à part un cercle restreint de parents et d’amis, personne n’a pu lire ce qu’il considérait comme un manuscrit de jeunesse un peu leste.
Cet esprit universel, raconte son cousin, l’abbé Le Gouz « se divertit tant qu’il peut, c’est à dire qu’il soupe tous les soirs dehors, rentre à deux heures du matin, joue et perd son argent, boit et mange de tout, court après les petites dames, veut se connaître en tout, décider de tout, raisonner sur tout, même sur les étymologies et les langues qu’il ne sait pas, l’histoire ancienne et moderne, le siècle de Louis XIV, celui où régnait Artaxerxés à la longue main, la généalogie de Corvinus Messala, comme celle de Bourbon. En vérité, je suis confondu, mortifié, atterré quand je vois ces gens d’heureuses et triomphantes mémoires, ces cervelles à registre, à table chronologiques, ces docteurs en nom, ces dépôts vivant des naissances, des morts, des alliances et des parentages universels ».
Il publia en 1756 une « Histoire des navigations aux terres australes » qui considérait l’Océanie comme la cinquième partie du monde. Puis en 1760, son ouvrage « Du culte des dieux fétiches » imposa le mot fétichisme en français. Enfin en 1765, parut le « Traité de la formation mécanique des langues », étude de l’étymologie et des racines des langues vivantes et mortes qui inspira Kant. Poursuivi par la haine de Voltaire pour une affaire de tas de bois devant le château de Tournay qu’il lui avait loué, il ne put entrer à l’Académie française, ce dont il fut mortifié.
Le président avait déjà été exilé six mois en 1744 à propos d’une affaire de préséance avec le Lieutenant général de la province de Bourgogne. A l’occasion du retour de ce dernier à Dijon, il dut lui souhaiter la bienvenue et prononça cette harangue au nom du Parlement de Bourgogne : « Monsieur, le Roi, seul maître des honneurs, ayant bien voulu vous accorder le plus grande distinction que vous puissiez recevoir en cette province, le Parlement, toujours plein de respect et de soumission pour ses volontés, vient à l’occasion de votre retour exécuter l’ordre de Sa Majesté ». Messieurs les laquais prenez en de la graine….
Inscription à :
Publier les commentaires (Atom)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire