mardi 26 février 2008

Ecrits et chuchotements 3

Le billet de Robert Solé dans le Monde sur la publication des Mémoires et Journaux des ministres ou de leurs conseillers, quelques mois à peine après leur sortie de fonction, pose un vrai problème moral. Comme s’ils n’avaient accepté ces postes que pour écrire tous les soirs les révélations, secrets et trahisons de leur publication future. C’est parfaitement indécent. Surtout, c’est un manque élémentaire de pudeur. Et de sens de l’histoire. On ne peut apprécier la relation entre deux chefs politiques, un ministre et un conseiller, un éditeur et un écrivain, deux hommes tout simplement que sur le long terme, dans le contexte d’une vie, de journaux, correspondances ou mémoires de toute une vie. Les relations évoluent, comme les sentiments. L’amitié, l’amour, le combat commun laissent place à l’estime, la complicité, la haine, la jalousie, la rivalité, l‘indifférence, qui sait… C’est assez vulgaire et enfantin de publier de son vivant, il y a un côté tu vas voir… gnarf… gnarf…je vais enfin tout dire… et c’est prendre les autres pour des enfants de chœur. Mais cela marche très bien. Des livres vite écrits, vite lus, vite oubliés. Le contraire du Journal de Léautaud, des Lettres de Mme de Sévigné ou des Mémoires de Mme de Boigne. Ce problème moral n’intéresse personne en ces temps où le « Casse-toi » triomphe . Il y aussi le cas des Souvenirs publiés de leur vivant par des hommes illustres, écrivains, journalistes, artistes, qui veulent nous raconter leur vie. Pourquoi ne laissent-ils pas un manuscrit qu’on publierait après leur mort ? Publier de son vivant, c’est prendre le risque littéraire d’affadir ses propos, ses pensées, ses jugements par crainte des autres vivants. Le Journal édité des Goncourt, est ainsi très édulcoré par rapport au manuscrit. Quel est alors le besoin de publier de son vivant ? Une reconnaissance ? La pression de son entourage ou d’un éditeur ? Que dire des « Souvenirs curieux d’une espèce de Hongrois », de Georges Walter, journaliste mythique de notre adolescence ? Il faut lui reconnaître qu’il a su transformer le plus grand ratage de sa vie en chef d’œuvre. En novembre 1963, il monte dans le train gare de Lyon et apprend quelques minutes plus tard que Kennedy a été assassiné. Impossible de rejoindre sa radio qui a déjà dû faire partir un reporter pour Dallas. Il vaut mieux surmonter la frustration et aller passer des vacances à l’île du Levant. Il en tira un merveilleux livre « Des vols de Vanessa» où le héros rencontre dans cette île le professeur Lambert qui étudie les papillons migrateurs et notamment les Vanessa. Il se trouve que l’assassinat de Kennedy coïncide avec une migration sans précédents de ces Vanessa. Mais est-ce une simple coïncidence ? C’est le sujet du roman qui obtint le prix Interallié en 1972. Je me souviens encore de l’exaltation ressentie en le lisant cet été-là. Le jeune bachelier que j’étais s’ouvrait à la vie avec Georges Walter. C’était encore mieux que le film « Woodstock » ou que le premier voyage à Londres. Sa lecture doit suivre celle des Souvenirs où malgré le style et les tribulations on reste sur sa faim : a-t-il conclu ou non avec les mystérieuses belles femmes rencontrées aux quatre coins du monde? Là, pour le coup, c’est de la pudeur…

Georges Walter , « Souvenirs curieux d’une espèce de Hongrois » Tallandier et « Des vols de Vanessa » Le livre de poche.

mercredi 13 février 2008

Ecrits et chuchotements 2

Quand on entre dans le bureau de Benamou à l’Elysée, il est toujours en train de téléphoner, racontent ses interlocuteurs qui ajoutent : « C’est le pire de Mitterrand et le pire de Sarkozy »... les histoires de ce genre abondent dans les dîners en ville… elles ne font plus rire du tout. Elle donnent le ton du nouveau règne. Qui est bien différent de celui de Louis le Grand ressuscité par la grâce de Marie-Christine Barrault et le talent de Françoise Chandernagor dans «L’allée du Roi » au théâtre de Bourg-la Reine. C’est un spectacle magnifique qui remplit de bonheur les historiens. Le public de la première lui a fait un triomphe. Pendant deux heures et demie, nous voyons naître, grandir, aimer, gémir, Françoise d’Aubigné, la veuve Scarron, la mendiante, la protégée des grandes dames, la maîtresse de bien des grands, puis la gouvernante des enfants du Roi et de Mme de Montespan, la protectrice de Saint-Cyr, la marquise de Maintenon surnommée Madame de Maintenant, l’épouse morganatique du Roi haïe par Saint-Simon. Elle naquit au monde le soir d’une violente dispute avec Mme de Montespan, qui lui reprochait avec hargne sa pauvreté, et d’avoir trompé son mari estropié, ce à quoi sa veuve lui répondit « Qui n’a jamais péché me jette la première pierre ! » Pour éviter la fureur de la maîtresse royale, elle demanda au Roi la permission de se retirer. Le Roi lui accorda en lui disant haut et fort devant toute la cour : « Je vous sais un gré infini de toutes les choses que vous faites pour mon service…, Mme de Maintenon… » la nommant ainsi pour la première fois, effaçant l’infamant « veuve Scarron » et lui marquant l’attachement qu’elle pressentait depuis un moment déjà.

Devenue sa maîtresse au bord de la fontaine du château de Saint Germain, au cours d’une scène imaginée bien sûr par Françoise Chandernagor, où Marie-Christine Barrault nous représente, et Madame de Maintenon et le Roi, elle franchit toutes les étapes de ce parcours presque sans faute qui la conduisit aux marches du trône… Marie-Christine Barrault n’interprète pas Françoise Chandernagor, elle est Mme de Maintenon. Nous sommes des voyeurs de son âme et de son cœur. Une vie se déroule devant nous, la vie. Nous goûtons un plaisir que nous donne seuls les bons textes et les grands comédiens. Le portrait en ombre chinoise de Louis XIV nous révèle le sens qu’il donnait à ses devoirs et à son pouvoir. Les spectateurs sanglotent quand elle raconte et joue la mort du Roi. On ne peut s’empêcher de faire un parallèle avec le pauvre règne d’à présent. Ce manque de tenue, ces revirements d’humeur, cette navigation à vue… quel contraste avec cette pensée de la fin de la vie de Mme de Maintenon retirée à Saint-Cyr : « Tout enfant j’étais résolue de ne pas chercher le bonheur je m’arrêtais à la gloire qui me paraissait un bien solide. A 40 ans je l’avais conquise, mais ma vie, jusque-là ramassée dans la poursuite de ce but commença de se défaire. Je vis que ce que je possédais ne me comblait pas. Je ne sus quelle autre fin me donner, tour à tour tentée par l’amour, la puissance et le renoncement. Je prétendis par crainte de manquer quelque chose courir les trois à la fois, je manquais tout ». Quelqu’un voudrait-il faire parvenir ce propos à Nicolas 1er… car il lui reste à méditer le renoncement….

mardi 5 février 2008

Une passion de collectionneur

La publication d’un journal de collectionneur est toujours l’écho d‘une passion, c’est ce qui nous touche, même si le sujet n’est pas de nature à nous enthousiasmer. Il nous est tous arrivé de rencontrer un homme un peu terne, un fonctionnaire falot, un interlocuteur triste et, par hasard, une phrase de la conversation évoque le thème de sa vie, de sa passion, de sa collection, et on voit alors dans ses yeux une lueur nouvelle, il s’enflamme, il devient loquace, son visage se transforme, une métamorphose le rend à nos yeux, beau, séduisant, intéressant et on se dit : « Voilà son jardin secret… » La publication que vient de faire Jacqueline du Pasquier est de cet ordre là. On ne sait pas si on aurait sympathisé avec Raymond Janvrot (1884-1966), bon bourgeois bordelais, vieux garçon, un peu guindé et formel vivant avec sa mère, ruiné et maladif… mais il tenait un journal (de 1900 à sa mort) qui nous permet de pénétrer dans l’intimité de sa collection de souvenirs royalistes, de partager sa ferveur, d’en comprendre l’orientation mais aussi de cerner la psychologie du collectionneur. Est-ce la ruine de sa famille qui l’incita à s’intéresser aux derniers moments de la royauté : les derniers rois et princes, les révolutions de 1789, 1830, 1848, l’exil, avec une prédilection pour la duchesse de Berry et le château de Froshdorf. Ce cousin Pons du XXe siècle raconte ses achats, les âpres négociations avec les antiquaires, les héritiers qui vendent en douce, ceux qu’il presse de vendre à Bordeaux, Paris, Nice, en Italie, en Autriche…partout, il revient avec des valises, des caisses, des paquets en 3e classe n’ayant plus assez d’argent, tremblant aux postes frontières. Il fustige l’inculture de visiteurs médiocres, l’esprit bourgeois qui conserve ses biens sans les comprendre et sans les aimer et les chipies bordelaises qui « manifestaient leur ignorance et leur stupidité ». Son journal est publié par extraits, reliés entre eux par Jacqueline du Pasquier, historienne de l’art, conservateur en chef honoraire du musée des Arts décoratifs de Bordeaux et directrice de la Revue de Sèvres. Avec un grand talent, elle a su regrouper par thèmes ou par périodes son amour des rois, sa mélancolie, ses objets inanimés, les échos de la vie bordelaise, accompagnés des illustrations de ses chefs d’œuvres : miniatures, portraits, opalines, médailles, sulfures, bustes, porcelaines, gants, gravures etc.…au total 18.000 œuvres cédées ou léguées à la ville de Bordeaux en 1958 et 1966 qui n’a jamais ouvert le musée que Jacques Chaban-Delmas lui avait promis et les laissent aujourd’hui dormir dans des réserves : une partie des salles qui lui étaient consacrées au Musée des Arts décoratifs viennent d’être transformées en boutique… c’est la nouvelle muséologie de l’argent… Ce livre est donc bien venu qui rend hommage à cet homme de cœur dont la vie fut orientée par un amour fou.

Jacqueline du Pasquier, Raymond Jeanvrot, une passion royaliste, Somogy/musée des arts décoratifs de Bordeaux, 2007, 28 €.

Ecrits et chuchotements

Les dîners en ville ne bruissent que de cette interrogation : Denis Olivennes sera-t-il le prochain secrétaire d’état à la culture de Xavier Darcos qui réclame ce rattachement à Nicolas 1er ? Mme Albanel aurait-elle du démissionner après sa lettre de mission ? C’est la question que l’on pose en montant l’escalier de l’opéra comique pour le spectacle de la saison « Cadmus et Hermione » de Lully où tout le snobisme parisien se presse – le chic étant de ne pas payer sa place surtout si on vient de Puteaux comme belle sœur du sous-sous-chef de cabinet - tant on s’est ennuyé partout au premier trimestre. Enfin du nouveau, des décors et machineries du temps, une gestuelle baroque reconstituée, un « vieux françois » parlé en roulant les « r » et en prononçant toutes les lettres comme « ceusses » là, qui déroute et n’est pas toujours convainquant ! Et surtout, un esprit de troupe, frais comme une bise d’hiver qui mêle la danse, la comédie et le chant… pas de stars, des professionnels qui s’amusent et nous amusent. On avait l’impression d’être assis derrière Louis XIV à la création de 1674. Merci Vincent Dumestre !

La même ambiance pour « Le carnaval et la folie » de Cardinal des Touches compositeur oublié du XVIIIe siècle, fraîcheur, troupe de jeunes talents malgré une musique qui n’est pas inoubliable et un très vilain décor ! Bravo à l’opéra comique qui reprend enfin son rôle de salle de découvertes, de re-découvertes. À l’opposé, l’exposition « Allemagne, les Années noires » qui vient de se terminer au musée Maillol nous plongeait dans l’expressionnisme allemand. Les cartes postales dessinées de Otto Dix de la guerre de 14 valent mieux qu’un long discours sur la paix et la guerre. Mais on ne pouvait s’empêcher de penser que pendant ces années noires pour l’art allemand, ici c’était Matisse, Picasso, Braque ! Où est l’âme allemande ? Elle est à l’opéra Bastille dans « La femme sans ombre » de Strauss … et non pas « Une femme, une chatte » comme traduisent les mauvais germanistes dont je suis… mis en scène par Wilson, rare moment où tout était au même niveau, la musique, la fosse, la scène, le chant, les décors, la lumière. Cette merveilleuse ambiance du monde surnaturel opposé aux humains, la force de l’amour, on la retrouve aussi dans « La petite Catherine de Heilbronn » de Kleist à l’Odéon/ateliers Berthier. Victoire de l’amour, du rêve et des dieux, mais hélas contrairement à l’opéra comique, diction affreuse des acteurs : le comte von Strahl s’écrie plusieurs fois, C’éééé elle, c’ééé elle au lieu de c ‘est t-elle … on finit par ne plus entendre ni comprendre le texte. La séduisante Anna Mouglalis fait le succès médiatique de cette pièce, mais si elle est bellisssime dans sa robe rouge et elle crie beaucoup d’une voix mal posée… mise en scène à l’opposé de ce que Kleist veut nous dire, décor et lumières somptueux.

Au théâtre de la Colline, le spectacle était dans la salle venue rire à la pièce de Feydeau, un vrai théâtre populaire, avec des familles, des gens du quartier, des seniors qui n’y vont jamais, il fallait les voir se décrocher la mâchoire et écouter les commentaires… on riait plus encore de ce spectacle que des tirades de Feydeau…les cocus sont éternels ! Revoir Courbet avant la fermeture de l’exposition du grand Palais était un must, mais valait mieux avoir son petit Sésame. Je ne me lasse pas du « Bonjour M. Courbet » ou de « la Mer à Palavas », qui nous renvoient au Musée Fabre de Montpellier qui a peut-être le plus beau fonds de ce peintre et des paysagistes du XIXe siècle. Grâce au collectionneur Alfred Bruyas dont les portraits nous renvoient le roux de sa chevelure et de sa belle barbe . Il faut courir voir ce musée ré ouvert, la plus grande réussite française de ces dernières années … le contraire du musée Granet d’Aix, un mort-né… Il y avait beaucoup moins de monde aux dessins de Polidoro da Caravaggio au Louvre, élève de Raphaël que j’avais découvert cet été à Messine, où il termina sa vie. Petites figures féminines qui atteignent à la suavité du Corrège ou à la grâce de Beccafumi . Des sanguines exceptionnelles, accompagnés de commentaires de Vasari.

Pour terminer ce dimanche, le concert d’orgue de Jean Guillou à Saint-Eustache nous fait entendre le maître dans les préludes et fugues, et sonate de Bach. Dans cette interprétation, comme dans les improvisations au cours de la messe qui suivit, Jean Guillou est très serein, très clair dans sa vision de Dieu et du ciel, très rassurant… on est loin de Napoléon le petit et du mieux disant culturel !