jeudi 12 février 2009

Les amateurs d'art à Paris au XVIIIe siècle





La linguistique est une science admirable qui donne une définition précise et historique des mots que l’on emploie parfois sans réfléchir. Qu’est-ce qu’un amateur? On le confondrait aujourd’hui avec les curieux, les collectionneurs, les connoisseurs, les mécènes ou les experts ! Fatal error IV… comme on dit sur la toile ! Un très intéressant ouvrage sur l’histoire du goût nous donne les clefs pour comprendre ce qui s’est passé à Paris au XVIIIe siècle. C’est la première étude véritable sur cette figure importante du monde des arts. « Dès le XIXe siècle, l’amateur devient une figure de la supériorité française, et le goût est présenté comme un attribut naturalisé de l’aristocratie d’Ancien régime et l’apanage de la nation française en Europe » nous dit son auteur, Charlotte Guichard, dans la droite ligne des recherches de Krzystof Pomian et Antoine Schnapper qui ont étudié les collectionneurs et les curieux. L’approche originale et séduisante de Charlotte Guichard pour arriver à définir l’amateur se fait par l’histoire de l’Académie royale de peinture et de sculpture qui seule permet de comprendre sa spécificité. A partir de 1747, fut élaboré un statut académique des « honoraires amateurs » dont le modèle est le comte de Caylus qui joua un rôle fondamental dans l’évolution des arts et remit le goût de l’antique à l’honneur. Cet engouement amènera le style néoclassique ou Louis XVI qui parut terriblement moderne alors que ces amateurs étaient aussi souvent des curieux, des érudits antiquaires étudiant l’histoire ancienne, les épitaphes, les inscriptions grecques et romaines, accumulant dans leur cabinet les dates, les listes, les noms, les blasons comme le comte de Vence, le marquis Maffei ou le président de Brosses. Cette figure du curieux sera ridiculisée par l’ Encyclopédie et Diderot s’opposera avec force au comte de Caylus. Les amateurs se distinguent avant tout par leur goût. Dans sa conférence « De l’amateur », le comte de Caylus entoure l’amateur d’une suprématie artistique. Il veut redonner à l’Académie royale via les amateurs la légitimité de la critique artistique : le titre d’amateur devient donc l’exclusivité de l’Académie royale. Le goût est la base, le fonds et la seule ressource du véritable amateur. Vient ensuite la pratique du dessin, de la peinture ou de la gravure « en amateur ». Et enfin, élément aussi fondamental et déterminant dans cette définition, les relations sociales et amicales que les amateurs entretiennent avec les artistes et qui vont au-delà du mécénat. L’amateur est capable de critiques raisonnées des oeuvres du peintre et donc de le conseiller et de l’orienter dans sa création. C’est cette dépendance que Diderot puis divers philosophes et critiques contesteront de plus en plus à la fin de l’ancien régime. Parmi ces amateurs, l’histoire a retenu La Live de Jully, le beau-frère de Mme d’Epinay et frère de Mme d’Houdetot, Bergeret, Jean de Boullogne, Watelet (ici figure son portrait par greuze), Jean de Jullienne issus de la haute finance ou de la haute administration royale. La noblesse figure en bonne part avec le marquis de Calvière, le baron de Bésenval, le duc de Chabot, le bailli de Breteuil, le comte de Choiseul-Gouffier ou le marquis de Voyer. Beaucoup de ces amateurs sont aussi des collectionneurs. Charlotte Guichard nous décrit, non les collections, mais leur constitution et leur composition, les achats et les voyages en Italie, la circulation des oeuvres, la naissance des ventes aux enchères parisiennes, la première salle de vente de M. Lebrun, mari de Mme Vigée-Lebrun, les catalogues. Par ce moyen, comme par leur portrait ou les gravures des tableaux de leur collection, on perçoit l’image que les amateurs veulent donner d’eux-même ou que leur donnent les nouveaux marchands, experts, critiques qui établissent déjà des listes de prix, des filiations d’œuvres et créent la notion de provenance prestigieuse comme les collections de Mariette ou du prince de Conti. Ces amateurs ont joué un rôle fondamental dans les débats sur l’art au XVIIIe siècle, très vivants et animés, entre les partisans de la beauté, du rocaille, du féminin et de Boucher, et ceux de la peinture d’histoire, nationale et du retour au seul goût pur, celui de l’antique, Greuze et David. C'est aussi le débat du passage du pouvoir culturel de la "Cour" à la "ville". Aujourd’hui nous débattons plus prosaïquement du maintien ou de la suppression du ministère de la culture.

Charlotte Guichard, Les amateurs d’art à Paris au XVIIIe siècle, Epoques, Champ Vallon, 29 euros.

mardi 3 février 2009

Venise, nouveau lieu incontournable des éditeurs


Quel est le lieu où l’on parle livres entre libraires, éditeurs et distributeurs de façon unique au monde ? La fondation Cini, dans l’île de San Giorgio, à Venise, la dernière semaine de janvier depuis 25 ans, à l’occasion du cours de perfectionnement de l’école des libraires italiens, la «Scuola per librai Umberto et Elisabetta Mauri ». Cette initiative formidable, au moment où partout ferment les librairies, donne pendant un an une formation continue aux jeunes libraires dans toutes les régions d’Italie, leur permettant d’accroître ainsi leur capacité de réflexion et de décision.
La session de fin de cours se déroule donc annuellement à Venise et réunit autour d’eux, outre des libraires, de nombreux éditeurs internationaux, des auteurs, des intellectuels, économistes et sociologues… Fondée en 1983 par Luciano Mauri, qui dirigeait le groupe des Messageries italiennes, elle porte le nom de sa fille Elisabetta, trop tôt disparue et de son père Umberto, président de l’association des Libraires d’Italie, marié à la sœur du grand éditeur milanais Valentino Bompiani. Cette rencontre est devenue un des points incontournables du monde du livre. Les Français pour dire vrai boudent un peu cette organisation très soutenue par les Allemands, sans doute grâce à Inge Feltrinelli, qui préside aux destinées de la maison d’édition Feltrinelli et dont la présence active est un rayon de soleil tous les ans : les plus grand éditeurs allemands de Rowohlt à Bertelsmann s’y sont succédés. Cette année, les Anglais étaient à l’honneur pour examiner l’évolution du marché anglais depuis la rupture du "Net book agreement" : pour les libraires c’est catastrophique : de même qu’on ne trouve plus de viande que dans les supermarchés, il n’y a presque plus de librairies indépendantes, que des chaînes dans une ambiance de compétitivité accrue et féroce… Umberto Eco, grand habitué de ces rencontres en ami de la maison, enthousiasma le public par son propos sur la fragilité des supports de l’écriture depuis l’antiquité et lui qui nous avait vanté la force et les capacités du cd-rom en 1991 fut obligé de reconnaître sa mort programmée ; tout en regrettant que la disparition des appareils de lecture nous empêchent de connaître réellement la durée de vie de ces procédés.
Après sa sœur Silvana Ottieri, amie de Pasolini, c’est Achille Mauri, adossé au groupe familial Mauri Spagnolo, deuxième groupe éditorial italien, qui préside maintenant aux destinées de la «Scuola per librai ». Editeur d’art – c’est lui qui a, le premier, publié Umberto Eco et les collectionneurs se disputent ses catalogues de Fontana !- voyageur, cinéaste, producteur, collectionneur et mécène, c’est un entrepreneur de la renaissance italienne qui donne à ces réunions le ton d’une rencontre amicale. Car lors des foires et salons comme Francfort, Bologne ou Londres, les éditeurs ne font que du business, dans une course contre la montre de rendez vous et de signatures de contrats. A Venise, ils prennent le temps de connaître et rencontrer les autres éditeurs, de savoir comment ils raisonnent et fonctionnent, de nouer des contacts, de tisser des liens d’amitié. Et, à cette occasion, il entreprennent également des négociations d’affaires et des partenariats qui font des rencontres de Venise un lieu désormais incontournable.
L’année prochaine, la France sera invitée sur le thème de l’édition numérique : comment résister à Google et créer une plateforme commune d’éditeurs européens. Beau sujet à ne pas manquer….