mercredi 15 avril 2009

Mansart le bâtisseur du Roi





Le musée Carnavalet rend hommage au grand architecte Jules Hardouin-Mansart (1646-1708) avec une remarquable exposition organisée par l’historien de l’art Alexandre Gady et Jean-Marie Brusson, conservateur en chef des peintures du musée, et dans une belle mise en scène de Philippe Pumain. D’emblée on est en présence du personnage que Mansart s’est fabriqué. Cet Hardouin, fils d’un obscur peintre et d’une nièce de l’architecte François Mansart, fut son élève. Il eut l’heureuse idée, à sa mort en 1666, d’accoler son nom au sien, devenant Hardouin-Mansart, puis « Monsieur Mansart». La première salle de l’exposition est consacrée à sa représentation, portraits, gravures, bustes, médailles. Déjà, jeune, il est peint par Rigaud dans un habit bleu un peu royal, enveloppé d’un manteau noir et décoré de l’ordre de St Lazare et N.D. du Mont Carmel qui l’a anobli en 1682. Il a l’air arrogant et très content de lui. Mais il est représenté en architecte, un grand traité à la main, posé sur un compas et une règle. Le buste de Coysevox, saisit encore son ardeur. Puis les traits s’épaississent, les perruques enflent, l’ordre de Saint-Michel s’ajoute avec la pompe de ses costumes au fur et à mesure que sa carrière se déroule dans le sillage du Roi Soleil : premier architecte du Roi en 1681, inspecteur général des bâtiments en 1691, surintendant des bâtiments du Roi en 1699, presque un ministre ; il mourra en 1708, comte de Sagonne et colossalement riche. Son dernier portrait, par Rigaud toujours, n’est plus celui d’un architecte doué et ambitieux, il a tout l’apparat et la pompe d’un grand seigneur de la cour … cette cour si familière et pour qui il a travaillé toute sa vie. D’abord son chef d’œuvre, le dôme des Invalides. On voit les très rares plans d’atelier restaurés autour de la maquette des Invalides en écorché qui nous fait voir tout le génie de ce bâtiment, des proportions, de la décoration. A mon avis il tient en un trait de génie probablement inspiré par le Val de Grâce de son oncle : le « point dans l’axe » à la base du dôme lui même au-dessus du fronton de l’avant corps de l’église. Au lieu d’avoir une fenêtre centrale dans la perspective et l’axe du sommet du fronton, c’est un trumeau entre deux fenêtres. On a l’impression que le bâtiment tourne et cela lui donne élévation, légèreté et élégance. La question peut se poser de cette immense église vide et superbe en dehors de Paris. D’aucuns y voient un désir du Roi d’y établir un mausolée des Bourbons. En aucun cas ; le Roi était trop fidèle à la tradition royale de Saint-Denis, à l’idée d’une seule dynastie en trois races, la plus vieille lignée royale du monde de Clovis à Louis XIII, pour organiser un transfert de sépulture dans un lieu nouveau. Mais, montrer sa puissance et sa richesse dans une église qui rivaliserait avec Saint Paul à Londres ou Saint Pierre de Rome, oui. On voit même un projet de place prévue par Mansart avec deux bras ouverts…. Comme Versailles, la place des Victoires, la place Vendôme, aussi construits ou embellis par Mansart. Parmi les 150 documents montrés, maquettes, dessins, plans, photographies, les châteaux disparus sont les plus émouvants. Marly, le château le plus original de tout les temps, comme une espèce de Rotonda, petit palais carré autour d’un salon circulaire, entouré d’eau de toutes parts et orné de 12 pavillons qui se reflètent dans le grand bassin. C’est la folie de Louis XIV, où éclate son amour des jardins, des bois de la chasse, des chevaux et des chiens qui dormaient sans sa chambre. Très différent était Clagny offert à Mme de Montespan, dont on comprend enfin le luxe évoqué par Mme de Sévigné et la fameuse galerie. Mansart a aussi construit la maison de Saint-Cyr pour sa rivale, Mme de Maintenon, et travaillé pour le Dauphin, le prince de Condé à Chantilly ou de nombreux courtisans à Boufflers, Dampierre, et Paris. Comment faisait-il pour répondre à toutes ses demandes ? C’est un des secrets de sa réussite, il disait toujours oui, au Roi, à Louvois, aux Grands et son agence, avec son beau frère Robert de Cotte, fournissait des projets, les plans, les dessins . Cette force de travail, cette imagination et cette ambition frénétique l’ont aidé assurément. Mais surtout, il a su comprendre ce que voulait le Roi. Mansart est un symbole du Grand Siècle comme Colbert, Vauban, Louvois, Le Brun ou Rigaud. Ils ont construit cette France harmonieuse et classsique , cet art français de la mesure et de l’élégance, le baroque à la française. Il faut absolument aller voir cette exposition si vivante et remplie d’inédits.

L’exposition est présentée au musée Carnavalet du 3 avril au 28 juin 2009. Elle est ouverte du mardi au dimanche de 10h à 18h.

lundi 6 avril 2009

Le dernier film de Wajda sort enfin en France




Le dernier film du grand cinéaste polonais Wajda, "Katyn", dont nous avions rendu compte lors de sa présentation au mois de juin dernier, sort enfin sur les écrans français. Mais toujours pas en Allemagne ni en Russie. C’est que l’étranger voudrait avoir un droit de regard sur l’histoire polonaise et un peu la dicter aux Polonais. Certains accusent Wajda, dans ce film comme dans d’autres, de ne pas parler du drame des juifs de Pologne. C’est un problème que les Polonais doivent eux-mêmes régler comme nous Français réglons celui de la collaboration. Ce film, très autobiographique, commence au moment de l’invasion simultanée de la Pologne par les armées, allemande le 1er septembre, et, soviétique le 17 septembre 1939. L’abandon par la France et l’Angleterre a entraîné la défaite de l’armée polonaise. 230.000 soldats et 18.000 officiers sont faits prisonniers par les Russes à la fin du mois de septembre. Les officiers sont gardés dans des camps de rétention qui ne respectent pas la convention de Genève, dont la Russie soviétique n’était pas signataire. Staline ordonna leur mort. Environ 15.000 officiers de tout rang dont 12 généraux furent exécutés dans la forêt de Katyn (actuelle Biélorussie) au printemps 1940. Beaucoup étaient des officiers de réserve, l’élite de la nation polonaise, des ingénieurs comme des artistes, tous fiers de servir le drapeau polonais.
Le cinéaste, âgé de 83 ans, nous livre là un de ses plus beaux film, très dur, tourné avec une grande pudeur et une grande intelligence. On s’achemine vers la fin du film et le début du communisme en Pologne et on a rien vu de ces massacres terribles. Bien soulagés, on pense qu’on ne verra rien ! Avec les Polonais de l’époque nous vivons la découverte macabre par les Allemands en 43, le retour des survivants et la litanie des listes des morts par haut-parleur sur la place de Cracovie en 44, puis les récits, enfin la vérité toute nue grâce au carnet d’un officier rendu à sa veuve. L’horreur soviétique. Mais cette vérité est étouffée par les Russes qui refusent leur responsabilité et font endosser officiellement le massacre par les armées allemandes. Ce que l’occident a accepté et endossé ! Les Polonais après avoir subi les exactions et pressions allemandes doivent subir celles des Russes et des nouveaux partisans communistes. La trahison des Alliés n’est pas tant celle de 39, c’est celle de 44, de ne pas avoir porté secours en priorité à la Pologne pour lui épargner le joug russe. Dans cette nouvelle Pologne « libérée » le pays doit se reconstruire, c’est le plus important. Non, disent d’aucuns, la résistance doit guider notre action. Très beau dialogue entre deux sœurs dans les deux camps opposés. La ralliée dit à celle qui refusera de signer la déclaration reconnaissant que leur frère a été tué par les Allemands :
-Tu choisis le camp des morts, c’est sordide !
-Non, réponds la résistante, je choisis celui des assassinés pas celui des assassins. Tout le problème de cette occupation communiste est posé.
La fin est sublime dans l’horreur car elle a les dimensions du dernier acte du Dialogue des Carmélites de Poulenc. De même que les religieuses chantent en allant à la guillotine jusqu’à ce qu’il n’y ait plus qu’une voix, les officiers sortant des camions noirs de la mort récitent leur Notre Père. Wajda les filme chacun disant une phrase de ce Notre Père ainsi reconstitué. L’émotion nous gagne, un peu de honte aussi…