dimanche 27 juillet 2008

Histoire et musique à la Roque d'Anthéron

Pierre-Laurent Aimard jouait l’autre soir dans le parc du château de La Roque d’Anthéron, l’Art de la fugue, dernière œuvre de Bach, exercice difficile pour le concert tant on considère cette œuvre comme un jalon de l’histoire de la musique, un outil de travail et de lecture plus qu’une pièce pour l’amusement et le délassement. Ce fut un moment émouvant, surtout la fugue interrompue de la fin sur le nom de B.A.C.H., même si Pierre-Laurent Aimard nous faisait trop entendre le clavecin dans sa façon de décortiquer et d’analyser cette œuvre. Sous les grands arbres du parc, les concerts se doublent de musiques naturelles des cigales, des oiseaux, puis des grenouilles et des grillons au fur et à mesure que la nuit provençale tombe avec le serin sur le public enthousiaste. Chaque année nous retrouvons ces impressions magiques de ce lieu qui est le fruit d’une branche de la maison de Forbin, issue de Palamède de Forbin qui aida, dit-on, le dernier comte de Provence, Charles III à tester en faveur de son cousin Louis XI. Le roi le récompensa en le nommant sénéchal de Provence avec les pleins pouvoirs, en lui disant « Tu m’as fait comte, je te fais roi »…La branche des seigneurs de La Roque ou la Roque-Gontard comme on disait alors, construisit le château au XVIe siècle, aménagea les jardins aux XVIIe et XVIIIe siècles et fit ériger cette terre en marquisat par Lettres patentes de Louis XIV. Elle s’éteignit en 1672 avec le mariage de l’héritière avec Claude Milan, Président à mortier au Parlement d’Aix, d’une famille de très riches néophytes aixois. Ils avaient construit en 1656 un des plus beaux hôtels du cours Mirabeau, le N° 20, outrageusement défiguré par une banque. J’ai vu démolir en une journée en 1975 l’escalier de service tout en gypseries, rabaisser les fenêtres du rez-de-chaussée, détruire les sculptures du grand salon…dans l’indifférence la plus totale, avec le regretté Louis Malbos conservateur du musée Granet. Son balcon était le plus apprécié d’Aix pour voir les processions et les jeux de la Fête Dieu.
Le château de la Roque et ce bel hôtel connu sous le nom d’hôtel de Forbin passèrent à la fille aînée du dernier Milan-Forbin mariée à son cousin, le marquis de Forbin-La Barben. Il fut guillotiné à Lyon en 1793. Leur fils cadet et héritier de La Roque d’Anthéron fut le charmant Auguste de Forbin, peintre, élève de David, le grand ami et protecteur de Granet, amant et chambellan de Pauline Borghèse, sœur de Napoléon. Il devint Directeur des Musées sous la Restauration sous l’égide de Mathieu de Montmorency. Il fut meilleur directeur que peintre, quoique Madame de Genlis lui ait consacré un ouvrage….Il aida surtout son ami Granet à rentrer en France en le nommant conservateur du château de Versailles où il peignit à l’aquarelle des vues du parc qui sont ses œuvres les plus sensibles. On peut les admirer au musée Granet d’Aix où se tient en ce moment l’exposition « Granet une vie pour la peinture», dans un affreux endroit souterrain, symbole de la restauration ratée de ce musée, mais tant pis, la peinture de Granet, proche de Corot à Rome et de Turner dans ses aquarelles, nous charme et nous séduit toujours. Et nous rappelle son ami intime Auguste de Forbin. Sans fortune et devenu trop parisien, il vendit le château de La Roque pour financer son voyage en Orient où il se posa un peu comme un rival de Chateaubriand, à la famille de Cordoue d’où il passa aux Florans qui ont donné son nom actuel au parc où se réunissent l’histoire et la musique.


vendredi 25 juillet 2008

Marseille port des galères


Marseille, « melting-pot » méditerranéen, ville de festivals et d’été, candidate au titre de cite européenne de la culture, a de tout temps été, à la fois, le port des galères du comte de Provence et de celles du Roi de France. Un seul homme s'occupe alors de leurs galères respectives : Jean de Villages, marié à la nièce de Jacques Cœur, capitaine général de la mer pour Louis XI, nouveau comte de Provence à la mort de ses oncles. Presque tous ceux qui lui succédèrent dans cet emploi, bientôt appelés "général des galères", furent des grands seigneurs français. Les Provençaux se laisseront ravir le généralat des galères, une des premières charges de la province devenue une grande charge de la Couronne.
Au XVIe siècle, les capitaines de galères à Marseille sont propriétaires de leurs galères, avec leurs agrès, leur artillerie et tout l'armement et quelquefois la chiourme et ils les mettent au service du Roi. Leur armement depuis le Moyen Age est celui d'une entreprise commerciale : bâtiment de commerce, la galère est aussi employée à la course ou louée à un souverain ou un chef de guerre. Les grands en possèdent plusieurs, le gouverneur de Provence, la famille des Baux, les Montmorency et nomment leurs capitaines, souvent des Italiens au début du siècle, puis de plus en plus de Marseillais. Celle du Roi ou du général est appelé la Réale. Les grandes familles marseillaises ont les leurs qui portent le nom de leur famille : La Renarde, la Pilles, la Valbelle, la Fourbine, la Montolieu. La noblesse marseillaise et provençale dominera le corps jusqu'à sa suppression se sentant investie d'une mission contre la piraterie sarrasine en Méditerranée qui contribua à leur assurer la maîtrise de la Méditerranée. Richelieu développa beaucoup les galères avec le bailli de Forbin, qu’il appelait l’"Oracle du Levant”. Ce dernier préconisa le rachat des galères à leurs propriétaires, ce qui sera fait de 1631 à 1662. Mais le plan de Richelieu de maintenir en tout temps 30 galères armées sur les côtes de Provence ne put être mené à bien. Il y en avait 22 à la mort du Cardinal.
Un autre amiral, le commandeur de Vincheguerre (+1656), est représentatif d'un clan marseillais et provençal rival des Forbin. Les Vincheguerre sont des parvenus corses (Vinciguerra) arrivés à Marseille avec les marchands et patrons de barques du Cap Corse. Ces Corses forment un réseau influent, surtout depuis que l'un d'entre eux Alphonse d'Ornano est devenu Maréchal de France et se fondent dans la noblesse marseillaise. Colbert et Louis XIV réorganisèrent le corps des galères en créant, à l'identique des vaisseaux, une école d'officiers, la compagnie des gardes de l'étendard réal des galères, en 1669. Les gardes de l’Etendard peuvent suivre avec les enseignes et les officiers au commerce les cours des Ecoles de construction navale et d'Hydrographie de Marseille, puis des cours de mathématiques et d’artillerie. Ils perçoivent une solde annuelle de 1.080 livres. C'est certainement une des raisons de l'attirance du corps des galères au sein de familles anciennes et peu fortunées.
Aux nombreux cadets, chevaliers de Malte, ou même de plus en plus aux chefs de familles, les galères offrent la possibilité de servir avec honneur, mais surtout dans un lieu de proximité six mois par an, car les galères ne naviguent que l’été. Ils peuvent passer six mois sur leurs terres, surveiller les vendanges et la cueillette des olives, y laisser leur famille et élever leurs enfants. La belle saison arrivée on emmène ses fils et neveux à Marseille pour les campagnes d'été au Levant, à Malte, sur les côtes provençales, italiennes et espagnoles, en Corse et en Sardaigne. Avec un peu de chance on aura une course, un combat, une tempête, connu une belle levantine ou une Maltaise peu farouche, de quoi rêver l'hiver au coin du feu. C’est à la mort du chevalier d'Orléans, Grand Prieur de France, fils naturel du Régent en 1748 que le corps des galères fut supprimé et réuni aux vaisseaux, car il n’avait plus de réelle utilité depuis que les enjeux maritimes étaient passés dans l’Océan atlantique, où elles ne pouvaient guère naviguer, donnant une nouvelle suprématie à l’Angleterre.

vendredi 18 juillet 2008

Le royaume d'Irak

C’est une histoire tragique que celle de la monarchie irakienne, née après la première guerre mondiale de la chute de l’empire ottoman et de l’habile diplomatie anglaise. Un livre vient de paraître à Londres qui raconte cette éphémère dynastie Hachémite mise en place en 1921. Gerald de Gaury , l’auteur de « Three kings in Baghdad » a été un témoin intime de la famille royale et un acteur de la politique britannique dans le monde arabe. Le roi Fayçal, fils du cheikh Hussein, émir de la Mecque, roi des Arabes et du Hedjaz de 1916 à 1924 et frère d’Adballah, roi de Jordanie , monta sur le trône d’un pays créé artificiellement et qu’on appela l’Irak et dont il n’était pas originaire. Il désirait donner une véritable indépendance au monde arabe sous la domination de sa famille, libérée de la tutelle des sultans. Il tenta de s’emparer de la Syrie mais la France l’en chassa. Les Anglais soucieux de contrôler les pétroles du golfe Persique eurent besoin de lui comme souverain de ce nouveau royaume entre Turquie et Perse. Il ne se montra pas difficile, étant très anglophile jusqu'à sa mort en 1933. Son fils Gazi fut au contraire un nationaliste arabe, favorable aux aspirations allemandes, passionné de courses et de sport. Il mourut dans d’étranges conditions d’un accident de voiture en 1939, laissant un fil de quatre ans, Fayçal II. Son oncle maternel , le prince Abdullilah, cousin germain du roi Gazi fut nommé régent. Cet homosexuel raffiné, grand amateur de chevaux et de séjours à Londres, réussit à concilier le modernisme et le développement de l’Irak sous protectorat anglais. La physionomie de Fayçal II, élevé à Harrow, inspira Abdallah le fils de l’émir qui joue avec le capitaine Haddock à Moulinsart dans l’album de Tintin "Coke en stock". Quand il prit le pouvoir en 1953, il dut affronter le nationalisme arabe l’accusant d’être un représentant des intérêts anglais. Ce n’était pas faux, mais en même temps le pays devenait le plus moderne du moyen-Orient. Faycal II afficha très nettement sa volonté d’être le leader économique et politique du monde arabe, devenant ainsi le rival de l’Egypte. Or, le nationalisme arabe fut galvanisé à partir de 1957 par la prise de pouvoir de Nasser qui venait de renverser le roi Farouk en Egypte et de s’emparer du canal de Suez, et la propagande soviétique. Un groupe d’officiers irakiens nationalistes et anti-anglais fomenta un coup d’état le 14 juillet 1958 et assassina le Roi, l’ancien régent et leur famille, ainsi qu’un un grand nombre de ministres et généraux. La république fut déclarée et le royaume d’Irak fut perdu. Et probablement une chance d’union de ce pays autour de la dynastie hachémite qui, très réaliste, a su allier et servir l’Islam, comme les empires ottomans, anglais et américains ainsi que le nationalisme arabe. Beaucoup d’Irakiens d’aujourd’hui considère ce temps comme l’âge d’or. La piste du retour à la monarchie a été examinée par les Américains et le prince héritier Gazi vit aujourd’hui à Londres, prêt à monter sur le trône d’Irak. Cette piste aurait peut être due être mieux explorée. Comme le dit le grand historien Philip Mansel dans la préface du livre : « The success of the hashemites’cousins in Jordan, the persistence of monarchies in the arabian peninsula and the emergence of neo-dynastic regimes in Iraq, Syria and, more recently, based on the familes od Saddam Hussein, Hafez-el-Assad and Hosni Mubarak, suggest that the regent Abdulillah’s belief that monarchy, with its spirit continuity, is « best for the east » is not unfounded ». Gerald De Gaury : Three kings in Baghdad, the tragedy of Iraq’s monarchy, preface by Philip Mansel, introduction by Alan de Lacy Rush, I.B. Tauris, Londres, New York, 2008.

mardi 1 juillet 2008

L'ange d'orient et l'ange d'occident

Il n’y a plus que nos amis libanais pour croire en la France, son rayonnement, sa mission, sa marine. Antoine Assaf nous explique dans son dernier ouvrage, Lettres à l’amiral, que « L’Angleterre et la Hollande ont prolongé leurs empires par l’esprit de commerce, la France a rompu et dispersé le sien dans l’esprit de culpabilité et de révision historique stérile. Il est temps qu’elle assume ce qu’elle a construit dans l’ordre de l’esprit et raté dans l’ordre de la chair ».
C’est une belle leçon d’histoire de la France et de l’Orient que nous donne Antoine Assaf, philosophe, écrivain, professeur à l’Université catholique de Paris, à l’Ecole Navale et à l’Ecole de Guerre, capitaine de frégate de réserve. Dans un recueil de lettres factices écrites à un amiral français du fonds de sa géôle syrienne quand il se battait les armes à la main pour la liberté de son pays, il veut raconter cet engagement, la cause qu’il a servi et sa foi inébranlable dans un Liban où les chrétiens tiennent une place essentielle. « J’écris pour que le monde saisisse la vocation inébranlable du Liban ; pour qu’il sente la gravité et l’atrocité du crime qu’il a commis en conscience pour toute une génération ». Il dénonce la politique d’agression de la Syrie et son rève de grande Syrie qui a autant de fondement historique que l’Anschluss, la politique « perse », l’intrusion des Israéliens, l’énorme responsabilité américaine et l’abandon de la France. Antoine Assaf a la nostalgie de l’héritage de la colonisation française et d’une certaine idée de la France : « Car au Liban on rêve encore de cette bonne vieille France, terre des rois, terre des saints et terre des poètes. La France des grandes figures qui ont marqué sa longue et belle histoire : Saint Louis et Sainte Jeanne d’Arc, la sainteté dans le courage et le courage dans la sainteté… La France est seule capable de mesurer l’importance des Chrétiens en Orient. Le reste du monde est ignorant de l’existence et de la nature d’une telle cause ». Même s‘il se rend à l’évidence en disant que « les grands de ce monde ont préféré les barils plein de pétrole à l’eau bénite de nos églises ». Il appelle tendrement pourrait-on dire, les Arabes, les grands, les frères ennemis à reconstruire le Liban, à se ressaisir. Et la France doit prendre la tête de ce mouvement pour retrouver un fil conducteur dans cette région et lui redonner un visage perdu pour le Liban depuis presqu’une génération. Les derniers développements de la politique française en faveur de la Syrie et contre l’Iran lui donnent-ils raison ?
C’est aussi un texte philosophique qui va plus loin que l’Histoire et contient des aphorismes sur, le temps : « On ne maîtrise pas le temps, c’est le temps qui nous maîtrise et nous porte, surtout quand c’est la guerre qui le révèle », le retour : « un monde de perfection et de réalités données et illusoires, qui se brise sous vos yeux et à vos pieds », le monde d’aujourd’hui « dirigé par ceux qui avortent et liquident les vérités et les valeurs », la constitution dont la place réelle est dans « le cœur de l’homme, cet espace sacré que le monde moderne a liquidé et vidé de toute sa substance »…
Et surtout, un formidable trait d’union entre l’Orient et l’Occident. Au collège de la Sagesse des pères maronites où il a été élevé avec toute sa génération d’amis druzes, maronites, sunnites et chiites, il y avait un globe terrestre bleu et vert surplombé par deux anges, l’ange d’occident et l’ange d’orient. L’ange d’orient tendait la main à l’ange d’occident par-delà les continents et lui disait cette parole unique « Redde quod debes »… rends ce que tu dois…

Antoine-Joseph Assaf, Lettres à l’amiral, 1. Le martyre des Justes, L’âge d’homme, 2008.